L’enseignement de l’histoire au cégep

Cette étude, commandée par la Fondation Lionel-Groulx, a pour objectif de situer la place de l’histoire en général et de celle du Québec en particulier dans la formation de niveau collégial. Le mandat consiste aussi à voir comment parvenir à revaloriser la place de l’enseignement consacrée à l’histoire et à une meilleure connaissance de la société québécoise par les finissants.

Afin de mieux cerner l’évolution de la place de l’histoire du Québec dans la formation générale au collégial depuis 15 ans, nous avons mené, entre mai et aout 2010, une enquête auprès des 296 enseignants en histoire au collégial. Près de la moitié des enseignants sondés (140) ont répondu au questionnaire, ce qui nous a notamment permis de mesurer la fréquence à laquelle les principaux cours en histoire sont donnés dans les établissements collégiaux. Nous leur avons aussi demandé de réfléchir à la place de l’histoire en général et celle de l’histoire du Québec au sein des programmes de sciences humaines et dans la formation générale.

Durant la même période, nous avons aussi sollicité les registraires de chacun des 60 établissements collégiaux publics pour recueillir la liste des cours offerts en histoire chaque session depuis janvier 1995 jusqu’à aujourd’hui afin de mesurer l’évolution de chacun de ces cours, et plus particulièrement les cours d’histoire ayant pour objet le Québec et le Canada.

Pour réaliser notre enquête, nous avons enfin consulté la littérature portant sur la formation générale au collégial, l’enseignement de l’histoire et le traitement appliqué à l’objet Québec dans les libellés de cours. En plus des rapports d’enquête les plus marquants (Parent, Lacoursière, Inchauspé), nous nous sommes appuyés sur des ouvrages, des articles parus dans des revues scientifiques ainsi que dans la presse quotidienne en tentant de rendre compte d’une pluralité de points de vue.

Le réseau collégial québécois

Les cégeps sont bien une création du rapport Parent qui proposait d’ainsi réunir sous un même toit la formation technique et préuniversitaire et d’ainsi assurer la transition entre le niveau secondaire et le marché du travail ou l’université[1].

En 2009, le réseau collégial comptait 48 établissements, dont cinq anglophones, ainsi que cinq écoles nationales et 31 centres de transfert de technologie (CCTT). Le réseau employait alors 34 650 salariés, dont 19 315 enseignants et enseignantes. 152 500 élèves étaient inscrits à l’enseignement régulier et 25 000 élèves en formation continue (pour adultes). 58 % étaient des filles et 42 % des garçons. Bon an mal an, 50 % des élèves sont inscrits au secteur préuniversitaire, 46 % au secteur technique et 4 % en session d’accueil et d’intégration. On compte huit programmes préuniversitaires dont les plus importants, administration, sciences de la nature, sciences humaines et arts et lettres, et 128 programmes techniques, qui vont de génie mécanique à techniques infirmières en passant par impression sur tissus.

Les programmes d’études menant au diplôme d’études collégiales (DEC) sont tous constitués de deux grandes composantes : la formation générale et la formation spécifique. La formation générale commune fait partie intégrante de chaque programme d’études et, dans une perspective d’approche programme, s’articule à la formation spécifique en favorisant en principe le développement de compétences nécessaires à l’ensemble des programmes d’études. La littérature occupe la part du lion de cette formation générale commune avec neuf unités (ou crédits) ; en gros quatre cours obligatoires. Suivent les cours de philosophie ou humanities avec six unités, éducation physique, trois unités, et anglais langue seconde, quatre unités, mais aucun cours d’histoire.

Trois grandes visées caractérisent la formation générale des programmes d’études au cégep : former la personne à vivre en société de façon responsable, amener la personne à intégrer les acquis de la culture et maîtriser la langue comme outil de pensée, de communication et d’ouverture sur le monde[2]. Parmi les douze grandes compétences de la formation générale, aucune ne réfère au rôle de l’histoire, ni à l’appartenance à une collectivité de langue et de culture distincte en Amérique.

Aux sources de l’exclusion de l’histoire du Québec

Quelle place le rapport Parent comptait-il allouer à l’histoire dans cette formation générale au cégep ? Au départ, elle promettait pourtant d’être énorme. Citons ce passage du célèbre rapport où les commissaires décrivent tout le bien qu’ils pensent de la formation historique.

Cette valeur humanisante de l’histoire, cette sagesse qu’on peut y puiser sont assez généralement reconnues. Mais on n’a pas toujours vu aussi clairement l’incomparable instrument de formation intellectuelle qu’on peut trouver dans cette discipline. La connaissance du passé habitue l’intelligence à saisir la notion de temps, de siècle, de génération, mais aussi la notion du temps historique, irréversible, continu, avec ses périodes et ses rythmes divers […][3].

La défense et l’illustration du rôle de l’histoire sont bien présentes à l’époque de la fondation des cégeps, dont on vante en particulier les vertus humanistes. Dans un célèbre article, deux des penseurs du projet des cégeps, MM. Fernand Dumont et Guy Rocher, identifiaient quatre vertus cardinales qu’on devrait s’efforcer d’inculquer au jeune durant son passage au collégial :

  • Premièrement, l’histoire, le devenir collectif est devenu si incertain et si fluent, les [médias de masse] et les partis nous encombrent de tant de nouvelles et d’opinions, que […] n’importe qui éprouve le besoin de prendre distance. De comprendre un peu d’où viennent ces débats de surface ; de retrouver des débats plus anciens qui font de sa société une collectivité déchirée. En ce sens, l’histoire – à la condition qu’elle ne soit pas le catéchisme de M. Léandre Bergeron – est un savoir fondamental. [4]
  • Deuxièmement, l’expression. Au Québec, nous sommes bien placés pour le savoir. La langue que nous parlons sur ce continent semble sans avenir, sans portée sur l’appréhension et le devenir des choses.
  • Troisièmement, l’Entendement, que Kant distinguait fort justement de la Raison. Le langage de l’Entendement, dans le monde où nous sommes, c’est celui des mathématiques. Ce langage-là n’est lié, par principe, ni à la physique, ni à la chimie, ni à la sociologie, ni aux structuralismes dont on parle dans les Facultés de Lettres. Nous réclamons donc, pour notre part, des mathématiques pour tout le monde au Cégep.
  • Quatrièmement, se situer dans l’histoire, se situer dans les langages, se situer dans les logiques de l’Entendement appelle un achèvement qui est aussi un recommencement.

Ces principes ne seront bien sûr pas repris dans la formation générale édifiée à compter de 1967. On tablera plutôt sur les vieux acquis des collèges classiques et sur le personnel déjà en place. C’est tout décidé, il y aura donc beaucoup de littérature et de philosophie, mais pas du tout d’histoire.

Encore en 1979, l’historienne Micheline Dumont renchérissait, pointant avec plus d’acuité encore l’importance de la formation en histoire au niveau collégial :

Il faudrait toutefois être bien naïf pour penser que la connaissance de l’histoire nationale sera assurée par une seule année d’études. C’est pourquoi il est nécessaire que l’étude de l’histoire nationale soit reprise au niveau collégial. […] L’objectif, cette fois, sera de provoquer la confrontation de la connaissance brute de l’histoire avec la variété des vécus historiques, la découverte de l’équivocité de l’objet historique et l’appréhension des divers liens idéologiques qui unissent le passé au présent. Il ne s’agit aucunement ici de proposer une étude systématique de l’historiographie canadienne, laquelle serait réservée au niveau universitaire, mais bien de raffiner la connaissance des événements par l’examen de leur polyvalence. C’est ici que prendraient place les insertions de l’histoire nationale dans l’histoire universelle et l’étude des réactions des différents groupes nationaux et sociaux au divers événement du tissu historique, ainsi que l’analyse des conséquences actuelles des événements passés. Au fond, c’est au niveau collégial que peut s’effectuer réellement la formation intellectuelle PAR l’étude de l’histoire. C’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’il faudrait proposer qu’un tel cours d’histoire nationale soit au programme de tous les élèves de cégep, quelle que soit leur spécialisation[5].

À peu près inchangée durant 25 ans, la formation générale au collégial a été révisée à la pièce à compter de 1992. Plusieurs se rappellent les débats épiques à propos de la place des cours de philosophie, d’éducation physique, le débat sur la qualité de langue ainsi que de l’ajout de deux cours obligatoires d’anglais, langue seconde, au tournant du siècle[6].

Ils sont pourtant nombreux ceux qui se sont alors émus de la piètre place accordée à histoire, et en particulier à l’histoire nationale. Quatre documents publiés sous le sceau du ministère de l’Éducation : Des priorités pour un renouveau de la formation collégiale (septembre 1992), le rapport final de la commission des États généraux, Rénover notre système d’éducation : dix chantiers prioritaires (janvier 1996), le rapport du groupe de travail sur l’enseignement de l’histoire, Se souvenir et devenir (mai 1996) et le plan d’action ministériel pour la réforme de l’éducation, Prendre le virage du succès (février 1997) proposaient tous de corriger la situation et d’allouer une place à histoire dans la formation générale au cégep[7].

Dès 1992, le défunt Conseil des collèges avait pris acte de l’absence de l’histoire dans la formation commune et demandé à la ministre de l’époque de lui ménager une place dans le bloc des cours obligatoires, aux côtés des cours de philosophie, de français et d’éducation physique[8]. Le Conseil suggérait même d’introduire non pas un, mais deux cours d’histoire, l’un sur le 20e siècle, l’autre sur le Québec, parmi une petite brochette de cinq cours obligatoires. Cette recommandation est restée lettre morte. Qui plus est, la réforme de l’enseignement collégial de 1994 a introduit un cours d’histoire de la littérature dans la formation générale, alors que les élèves ont du mal à situer le Moyen Âge, la Renaissance ou, dans le contexte québécois, la Confédération ou la Révolution tranquille.

En 1995, une première coalition pour l’enseignement de l’histoire avait mené à la mise sur pied d’un groupe de travail sur l’enseignement de l’histoire dirigée par l’historien Jacques Lacoursière. La commission Lacoursière pointait en particulier le fait que seuls les élèves inscrits en sciences humaines recevaient un cours d’histoire, soit moins du quart des élèves du collégial, même si c’est pourtant là que « devraient se produire les apprentissages intellectuels définitifs qui assurent la formation fondamentale[9] ». Le rapport Lacoursière proposait donc un cours obligatoire de 60 heures sur les fondements historiques du monde contemporain et qu’on s’assure davantage de la qualification des enseignants[10].

En 1999, Paul Inchauspé renchérissait sur l’importance de l’histoire nationale. Il reprochait même au rapport Lacoursière de « ne pas avoir osé aborder la question préalable de la place de l’histoire nationale dans un programme d’études[11] ».

Rien n’y fit. Si bien que, malgré les pressions de l’opinion publique et à l’encontre d’avis issus du sein même de son ministère, le gouvernement québécois n’accorda aucune place à l’enseignement de l’histoire dans la formation générale. Tout compte fait, peu de changements ont été apportés depuis. La nouvelle mouture de la formation générale que nous avons étudiée est entrée en vigueur en septembre 2010 et ne fait toujours aucune place à la discipline histoire, ni à l’histoire nationale du Québec.

L’histoire malmenée dans la formation générale

Trois visées de formation caractérisent la composante de formation générale des programmes d’études collégiales : former la personne à vivre en société de façon responsable, amener la personne à intégrer les acquis de la culture et amener la personne à maîtriser la langue comme outil de pensée, de communication et d’ouverture sur le monde.

Cours de la formation générale au collégial

Objectif

Titre

Séq.

Unités

Cours d’éducation physique

4EP0 109-101-MQ

Activité physique et santé

1-1-1

1

4EP1 109-102-MQ

Activité physique et efficacité

0-2-1

1

4EP2 109-103-MQ

Activité physique et autonomie

1-1-1

1

Cours d’anglais

4SA0 604-100-MQ

Anglais de base

2-1-3

2

4SA1 604-101-MQ

Langue anglaise et communication

2-1-3

2

4SA2 604-102-MQ

Langue anglaise et culture

2-1-3

2

4SA3 604-103-MQ

Culture anglaise et littérature

2-1-3

2

4SAS

Langue anglaise et communication

2-1-3

2

Cours de philosophie

4PH0 340-101-MQ

Philosophie et rationalité

3-1-3

2 1/3

4PH1 340-102-MQ

L’être humain

3-0-3

2

4PHP

Philosophie en formation générale propre

2-1-3

2

Cours de français

4EF0 601-101-MQ

Écriture et littérature

2-2-3

2 1/3

4EF1 601-102-MQ

Littérature et imaginaire

3-1-3

2 1/3

4EF2 601-103-MQ

Littérature québécoise

3-1-4

2 2/3

f 4EFP

Littérature en formation générale propre

2-1-3

2

Pour atteindre ces visées, chaque élève doit suivre durant son bref passage de deux à trois ans au collégial un nombre impressionnant de cours obligatoires, environ le tiers des cours de la formation collégiale de tous les élèves.

Pas de cours d’histoire donc, mais y a-t-il de l’histoire quelque part dans cette formation générale ?

N’en demandons pas trop aux cours d’éducation physique dont le principe directeur est déjà rien de moins que de « viser principalement le développement global de la personne. » Quant à anglais, langue seconde, il a, lui : « […] pour objet d’amener l’élève à augmenter sa maîtrise de la langue anglaise, à s’ouvrir à une autre culture et à faire preuve d’autonomie et de créativité dans sa pensée et ses actions. » L’élève doit notamment y démontrer son aptitude à « percevoir le rôle de l’anglais dans son domaine d’études et faire la preuve de son ouverture à différents aspects de la culture anglophone. » Comme on le voit, en attendant de se voir présenter sa propre culture, on porte un grand soin à ce que l’élève s’ouvre à celle de l’Autre. Quant à l’impact de la culture anglophone sur notre histoire, il peut être abordé, mais très indirectement, dans un cours au choix de niveau IV, où l’élève aura à « Traiter en anglais d’œuvres littéraires et de sujets à portée sociale ou culturelle. » (604-103-MQ, Culture anglaise et littérature).

Nombre d’élèves de cégep pour quelques cours de la formation générale et en histoire (aut. 2008 et hiv. 2009)

     

INSCRIPTIONS

CODE

DISCIPLINE

TITRE

AUT 2008

HIV 2009

TOTAL

340-101MQ

Philosophie

Philosophie et rationalité

40 657

18 011

58 668

340-102MQ

Philosophie

L’être humain

14829

46980

63070

601-101

Français

Écriture et littérature

40 609

18 812

59 421

601-102

Français

Littérature et imaginaire

14 811

49 069

63 880

601-103

Français

Littérature québécoise

23 523

17 676

41 199

330-910

Histoire

Histoire de la civilisation occidentale

9465

6839

16304

330-972

Histoire

Histoire du temps présent

1576

1848

3424

330-951

Histoire

Histoire du Québec

1146

1278

2424

Philosophie et humanities

La discipline philosophie dispose de deux cours obligatoires dans la formation générale commune, Philosophie et rationalité, ainsi que L’être humain, de même qu’un cours dans la formation générale « propre » dont la description est laissée aux établissements. Selon le descriptif de la formation générale :

L’enseignement de la philosophie au collégial vise à former la personne pour elle-même tout en la préparant à assumer, de manière autonome, ses responsabilités sociales, politiques et professionnelles. [Il] vise également à amener l’élève à prendre en considération et à discuter les acquis de la civilisation occidentale.

On retrouve là en sous-main les deux grands buts de la formation générale commune : éducation à la citoyenneté et ouverture sur le monde. Parmi les résultats attendus, l’élève doit aussi pouvoir rendre compte :

[…] des thèmes, des œuvres et des courants majeurs de la culture philosophique issus d’époques différentes. […] de la pertinence du questionnement philosophique sur les enjeux sociaux contemporains. [Il doit aussi être en mesure de débattre] des idées et de leur histoire[12]

L’histoire est donc en principe présente en philosophie, mais, comme on le voit, purement instrumentalisée afin de mettre en contexte les concepts et les idées développées. On pourra par exemple recourir à l’histoire pour rappeler que même si Platon a cautionné l’esclavage en Grèce, cela ne disqualifie pas automatiquement sa philosophie ou que la dévotion religieuse de Blaise Pascal s’explique par le contexte de l’époque et n’annule pas la profondeur de sa gnose. L’histoire n’est même pas évoquée, elle n’est qu’invoquée, dans sa fonction relativiste, en taisant sa trame générale et en n’outillant nulle part l’élève pour qu’il puisse lui-même interpréter le passé. Nulle part non plus la formation générale ne prévoit présenter à l’élève ces fameux contextes historiques, en particulier sur l’histoire contemporaine, l’histoire de la pensée s’arrêtant en gros aux portes de la métaphysique de Kant.

Langue et littérature

Le cas de langue et de littérature est particulier, car l’histoire occupe en principe une place centrale dans la trame pédagogique attitrée à cette discipline. Parmi les quatre grandes compétences décrites pour le volet langue et littérature, deux peuvent concerner l’histoire :

  • expliquer les représentations du monde contenues dans des textes littéraires d’époques et de genres variés. » (601-102-MQ Littérature et imaginaire) ;
  • apprécier des textes de la littérature québécoise d’époques et de genres variés. » (601-103-MQ Littérature québécoise).

Le chercheur Charles Gill s’est penché sur le descriptif équivalent, mais pour les cégeps où l’anglais est la langue d’enseignement. S’il constate que le descriptif en français mentionne tout de même le rôle structurant de l’histoire, du côté anglophone en revanche c’est le désert en ce qui a trait la transmission des fondements de la littérature, de l’histoire et de la culture du Québec. Le libellé des objectifs parle de lui-même à cet égard : « to analyze and produce various forms of discourse (premier cours) ; to apply a critical approach to literary genres (deuxième cours) et finalement to apply a critical approach to a literary theme (troisième cours). Dans les établissements anglophones, le programme de français langue seconde demeure ancré dans une approche communicative, nullement culturelle ni historique et parvient d’autant moins à permettre l’acquisition de connaissance à propos de l’histoire nationale[13].

Le cas du cours de littérature québécoise

En 1994, le ministère de l’Éducation procède à une réforme partielle de la formation générale afin notamment de clarifier la séquence des cours de français et littérature. L’ajout du cours de Littérature québécoise visait apparemment à mieux ventiler le type d’œuvres qui allaient être abordées dans chacun de ces cours, entre littérature française et mondiale et littérature issue du Québec[14].

Tous les auteurs consultés semblent contredire l’impression que ce cours ait pu offrir un meilleur éclairage sur la culture et l’histoire du Québec. Selon Louis Cornellier, le résultat de la réforme de 1994 fut de confiner l’étude de la littérature du Québec à un seul cours. L’occasion aurait pourtant été belle suivant Cornellier d’établir un vrai programme national qui aurait réservé au moins 50 % du contenu à la littérature québécoise et qui aurait imposé quelques heures fixes de révision grammaticale dans tous les cours[15].

Pourquoi la littérature québécoise a-t-elle été circonscrite à un seul cours alors que plusieurs pensaient qu’elle aurait dû occuper une place centrale dans la définition du nouveau programme de 1994[16] ?

L’étude menée par M. Max Roy, professeur au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, propose une réponse :

En réalité, la culture québécoise n’a jamais été une priorité dans l’enseignement du français au collégial et elle n’a pas remplacé la littérature française, bien qu’il se trouvât, de façon sporadique, une représentation plus grande du corpus national dans la décennie 1970. […] Depuis l’entrée en vigueur du nouveau programme, pour les années scolaires 1994-1995 et 1995-1996, un seul des quatre cours obligatoires de français est consacré à la littérature québécoise, qui constitue actuellement 26,4 % du corpus, comparativement à 47,2 % pendant la période couvrant les années 1990 à 1995, soit avant la réforme[17]

En fait, « reconnaître les caractéristiques de textes de la littérature québécoise » n’est qu’un des six éléments de compétences associés au cours Littérature québécoise. Tous les autres sont d’ordre méthodologique ou liés à la correction de la langue.

Une pluralité d’auteurs semble en somme conclure que l’histoire de la culture du Québec n’est pas mieux servie qu’avant par le cours Littérature québécoise et que si la séquence historique semble désormais mieux assurée dans les cours de littérature, elle présente toujours d’importantes carences à propos notamment de la période contemporaine et de l’histoire du Québec en général.

Les lacunes de la formation générale

Aucune place n’a donc été attribuée à l’histoire ou à la société québécoise parmi les objectifs de la formation générale. L’histoire y est bien présente, mais aux seules fins de situer et de relativiser le contexte de production des idées dans les cours de philosophie ou en guise de cadre permettant de périodiser et d’organiser la présentation des œuvres à l’étude en langue et littérature.

Si on reconnait bien l’importance de doter tous les élèves d’une culture commune leur permettant d’agir en citoyens éclairés, conscients de leurs droits et de leurs devoirs en société, nous sommes à même d’identifier trois grandes lacunes en ce qui a trait à la culture historique des finissants du collégial.

La première lacune a trait à la capacité du finissant de cégep à correctement se situer dans le temps et dans l’histoire ; de bénéficier en somme d’une trame historique claire sur laquelle il pourrait greffer ses futurs apprentissages. Cette carence est d’autant plus préoccupante que les cours actuels de la formation générale requièrent constamment que l’élève puisse situer des productions culturelles dans leur contexte. Or, de quelle base l’élève bénéficie-t-il au moment d’engager un tel exercice de mise en perspective ? Il appert à l’heure actuelle que ces notions auront été vues pour la dernière fois dans le cours d’univers social de deuxième secondaire (232MG), où l’élève aura parcouru l’histoire du monde, de la préhistoire à nos jours, alors qu’il n’avait que 13 ans ! Pour le moment, c’est le seul bagage historique sur lequel pourront tabler les enseignants de philosophie et ceux de littérature au moment de situer l’œuvre des sophistes au 5e siècle av. J.-C. ou celle d’un Racine au siècle de Louis XIV. Les élèves n’ont bien sûr absolument pas les bases historiques leur permettant de spontanément placer dans leur contexte les œuvres qui leur sont soumises. Bien conscients de ces paradoxes, les enseignants de philosophie et de littérature n’ont guère d’autre choix que de s’improviser enseignants d’histoire. Certains font assurément du bon travail, mais convenons que ce n’est pas là leur rôle et que ce détour par l’histoire les écarte de l’atteinte des objectifs actuels de la formation générale, et en particulier ce qui concerne la maîtrise du français écrit.

Une seconde lacune porte sur la connaissance minimale des enjeux du monde contemporain que l’élève aura tiré de son séjour au collégial. Or la littérature contemporaine n’est certainement pas le meilleur biais pour aborder les réalités sociopolitiques complexes du dernier siècle : la mondialisation, les enjeux sociaux ou la place du Québec dans le monde. La lecture des romans de Philippe Sollers ou de Marie-Claire Blais est certes édifiante, mais ne peut pas constituer une clé pour comprendre les rouages du monde contemporain. C’est encore pire en philosophie où seul le cours Philosophie et rationalité emprunte une trame un tant soit peu historique, et encore se limite-t-elle à revisiter les classiques de la Grèce antique, en gros jusqu’au cartésianisme et l’émergence de la pensée scientifique. Bref, la formation générale au collégial est virtuellement muette sur le monde contemporain. Sans doute adéquatement formé pour définir un courant littéraire ou raisonner selon des processus formels, le finissant ne sera d’aucune manière outillé pour interpréter l’actualité au Québec sur les plans politique, social ou économique, voire à correctement décrypter les articles d’un simple journal quotidien.

Une troisième lacune, plus préoccupante, concerne l’absence totale de référence à la société québécoise. Nulle part dans la formation générale, sauf dans le cours Littérature québécoise, n’est-il fait allusion au milieu où le jeune va pourtant passer le restant de ses jours. À aucun endroit n’est-il donc prévu qu’on l’initie aux institutions politiques, aux règles de la vie démocratique québécoise, à la culture et à l’histoire du Québec, ainsi qu’aux défis auxquels cette société est confrontée à l’heure actuelle. Au moment même où ces jeunes de 17 à 20 ans font l’apprentissage du travail rémunéré, du syndicalisme, du bureau de scrutin, de la vie en appartement et du choc des cultures, la formation collégiale ne leur fournit aucun nouvel outil pour interpréter les origines de leur propre société.

Les carences au niveau des connaissances sur l’histoire du Québec, sa géographie, sa sociographie, ses institutions, sont criantes parmi les élèves de cégep. Ces lacunes sont particulièrement cruelles à propos de l’histoire contemporaine, notamment sur la période depuis la Seconde Guerre mondiale. À l’heure actuelle au secondaire, l’élève voit bien l’histoire du Québec et du Canada dans deux cours d’univers social, mais la configuration de ces cours fait en sorte que la même histoire est vue tour à tour sous l’angle chronologique puis sous l’angle thématique, de sorte que la période depuis 1945 est presque systématiquement escamotée faute de temps. Le finissant du secondaire aborde donc le cégep en ignorant la plupart des faits structurants des soixante dernières années et aucun cours de la formation générale actuelle ne semble en mesure de combler cette lacune. C’est pourtant durant son séjour au cégep qu’un jeune Québécois acquiert le droit de vote au Québec, qu’il commence à travailler, qu’il quitte le domicile familial pour faire l’apprentissage d’un nouveau milieu de vie et qu’il se frotte aux services du gouvernement. Malgré tous ses mérites, la formation collégiale actuelle ne permet pas de préparer le finissant à ces réalités impérieuses.

L’histoire dans les programmes de sciences humaines

Exclue de la formation générale, l’histoire devrait occuper une place royale dans le pré carré des programmes de sciences humaines. D’ailleurs, presque partout où il est offert, le programme de sciences humaines regroupe le plus grand nombre d’élèves. En 2008, c’est près du quart des élèves du collégial, soit 23,7 % de la clientèle. On déchante vite quand on constate que nulle part il n’est fait mention de l’histoire parmi les neuf buts généraux décrits pour ce programme. Pour le ministère :

Le programme Sciences humaines au collégial vise à rendre l’étudiante ou l’étudiant apte à poursuivre des études universitaires dans les grands domaines des sciences humaines, du droit, des sciences de l’éducation et des sciences de l’administration, par une formation scientifique basée sur l’acquisition et l’intégration de connaissances et de méthodes de diverses disciplines des sciences humaines[18].

Nulle part le mot histoire n’apparaît. Mais qu’on se rassure, y figurent en bonne place les deux marottes du Renouveau pédagogique pour rappeler que tous les finissants en sciences humaines doivent pouvoir « situer divers enjeux relatifs à la citoyenneté dans un contexte de mondialisation ». Cette compétence fut pourtant maintes fois validée avant l’arrivée du jeune au cégep. Les mêmes principes sont en effet pesamment rappelés à maintes reprises dans les cours d’Univers social, du primaire au secondaire[19]. Cette récurrence des mêmes principes d’ouverture sur le monde débouche d’ailleurs à l’heure actuelle sur d’inquiétantes redondances entre le secondaire et le collégial au point que le Comité-conseil sur l’arrimage est même forcé de convenir à l’hiver 2008 qu’« un élève arrivant au collégial pourrait percevoir que le cours n’est pas assez exigeant au plan des « nouveautés »[20].

Tous les autres buts du programme collégial de sciences humaines sont de nature méthodologique (technologie, aptitude à la communication et à la recherche, etc.), sans qu’il ait nulle part été question du rôle de l’histoire ou de la place accordée à la société québécoise. Sur les 182 pages du descriptif du programme de sciences humaines, le mot histoire n’apparaît littéralement qu’à un seul endroit, soit pour décrire la compétence spécifique 022L, où il est dit que « l’élève doit savoir reconnaitre, dans une perspective historique, les caractéristiques essentielles de la civilisation occidentale. » Le mot « Québec » ne se retrouve quant à lui qu’une seule fois, soit pour le cours littérature québécoise. En guise de comparaison, le mot « ouverture » se retrouve à pas moins de 16 endroits et parsème tout le document, essentiellement « ouverture d’esprit et distanciation », « ouverture sur le monde », « ouverture à d’autres cultures » et « ouverture à différents aspects de la culture anglophone »…

Sciences humaines est pourtant le seul programme de niveau collégial où la discipline histoire soit présente. En clair, aucun cours d’histoire n’est offert dans d’autres programmes du collégial. D’autres disciplines des sciences humaines s’en tirent beaucoup mieux. La discipline psychologie par exemple offre plusieurs cours dans des programmes tels que techniques de garde ou soins infirmiers. De même, la discipline sociologie, présente bien sûr en sciences humaines, mais aussi en éducation spécialisée et en techniques de loisirs notamment. Même histoire de l’art est présente dans plusieurs programmes d’arts et lettres et de techniques artistiques. Or la discipline histoire ne se retrouve qu’en sciences humaines. Il est vrai que l’histoire est parfois proposée en formation générale complémentaire – les fameux cours au choix –, mais ces cours complémentaires tendent de toute façon à disparaitre.

TABLEAU 1

Offre de cours en histoire dans les cégeps publics du Québec
(automne 2008 et hiver 2009)

SIGLE

TITRE DU COURS

Inscrits

Proportion

330-910

Histoire de la civilisation occidentale 

16304

67,3

330-972

Histoire du temps présent

3424

14,2

330-951

Fondements historiques du Québec contemporain

2424

10,2

 

Autres
(dans l’ordre, Histoire des États-Unis, Histoire des civilisations non occidentales, Histoire de l’Antiquité, Histoire de la vie privée, Histoire du Moyen Âge et Temps modernes, Cinéma et histoire, Civilisations disparues, Histoire et architecture)

2117

8,4

   

24269

100 %

Comme l’histoire est absente de la formation générale et qu’elle est confinée au programme de sciences humaines, il y a par conséquent fort peu d’enseignants de cette discipline. Dans un gros cégep comme que celui du Vieux-Montréal où étudient 6330 élèves de jour, on compte 411 enseignants, dont 43 enseignants de philosophie, 62 enseignants de littérature et… cinq enseignants d’histoire, présents dans un seul programme, celui de sciences humaines. Dans certains cégeps régionaux, tels ceux de Sept-Îles, de Matane ou de Montmagny, il n’y a même pas suffisamment de travail pour un seul professeur d’histoire à temps plein. Qui plus est, ces enseignants d’histoire sont généralement astreints à ne donner qu’un seul cours, Histoire de la civilisation occidentale, le seul cours d’histoire obligatoire pour les élèves de sciences humaines depuis 1991 et, dans certains cas, le seul cours d’histoire dispensé dans l’établissement.

Plus préoccupant encore que le sort réservé à la discipline histoire, celui de l’objet « Québec » en général et de l’histoire du Québec en particulier : au maximum, deux ou trois groupes par année et dans quelques établissements seulement. Là, on peut carrément parler d’espèces en voie de disparition : Fondements historiques du Québec, Sociologie du Québec, Politique Québec-Canada, Économie du Québec et ses régions, Histoire de l’art au Québec, autrefois des cours florissants dans les programmes préuniversitaires, sont disparus des banques de cours ou relégués au choix de toute fin de parcours. Histoire du Québec, par exemple, qui comptait pour le quart des cours d’histoire offerts au cégep en 1991, n’en représente plus que 13,3 % en 2007 et n’est plus dispensé que dans douze d’établissements sur 48. Le cours Histoire du Québec est notamment supplanté par le cours d’histoire de la civilisation occidentale (66,3 %) et Histoire du temps présent (15,7%). Il subit de plus en plus la concurrence de cours portant sur des objets exotiques : Histoire des États-Unis, Histoire des civilisations non occidentales, Histoire de l’Antiquité, Histoire de la vie privée. Au cégep de Rosemont, où on retrouvait facilement jusqu’à cinq groupes d’histoire du Québec en 1997, on a aujourd’hui du mal à en ouvrir un seul par année. Selon la plupart des enseignants sondés à l’automne 2007, le cours Histoire du Québec devrait poursuivre sa régression.

Conséquemment, suivant les données du SRAM et du SRAQ, seuls 2424 cégépiens avaient suivi un cours d’histoire du Québec durant l’année 2008-2009. Reporté sur trois ans, cela signifie que moins de 5 % de l’ensemble des cégépiens ont suivi un cours d’histoire nationale au terme de leurs études collégiales[21].

Statistiques générales pour la période 1995 à 2010

Au cours des derniers mois, nous avons sollicité tous les établissements collégiaux afin de recueillir des statistiques permettant de mesurer avec exactitude l’évolution de l’offre des cours en histoire, et plus particulièrement en histoire du Québec et du Canada pour la période de 1995 à 2010 au sein des programmes de sciences humaines.

On a ensuite compilé les données provenant de 17 établissements collégiaux, soit le tiers du réseau. Cet échantillon nous permet donc de dresser un portrait fidèle de la place des cours d’histoire portant sur le Québec au cours de la période. En général, cette place demeure marginale dans la plupart des cégeps. Nous avons calculé qu’elle occupe en moyenne 10% de l’offre totale des cours en histoire durant toute la période.

Par la suite, on a mesuré l’évolution de l’offre des cours sur une base quinquennale pour observer comment avait fluctué la place des cours d’histoire sur le Québec et le Canada.

À la lumière des données recueillies figurant sur les tableaux ici-bas, la place allouée aux cours portant sur le Québec et le Canada est demeurée marginale et stable durant les deux premiers cycles (1995-2005). Par la suite, loin de s’améliorer, elle connait une régression importante à partir de 2005 jusqu’à aujourd’hui, pour atteindre à peine 8% des cours d’histoire offerts.

Ce constat est d’autant plus alarmant que si rien n’est fait pour corriger la situation, tout indique que cette rapide érosion observée durant les cinq dernières années pourrait mener à la disparition de l’histoire nationale au collégial, comme en font foi les données fournies par les établissements présentées dans les pages suivantes.

Statistiques par établissement[22]

Cette régression de l’offre des cours en histoire du Québec/Canada se mesure dans la plupart des établissements collégiaux où nous avons recueilli la liste des cours offerts chaque session, de même que le nombre d’élèves inscrits dans chaque cas.

Une place enviable pour l’objet « Québec » parmi les cours d’histoire…

La place du Québec et du Canada (24 %) dans les cours d’histoire au collège Gérald-Godin[23] est deux fois plus importante que dans la plupart des établissements présentés en ces pages. Cependant, notons que le cours Fondements historiques du Québec a rapidement été remplacé par Histoire du Québec et du Canada : perspective mondiale, un cours qui se veut la suite du cours Histoire de la civilisation occidentale comme en fait foi le descriptif du cours :

Ce cours d’approfondissement suit le premier cours d’histoire. Il vise à approfondir des concepts et des notions abordés dans ce premier cours en les appliquant à la réalité québécoise et canadienne du 19e et du 20e siècle. Plusieurs thèmes seront abordés, notamment l’évolution du nationalisme canadien et québécois, la place grandissante des femmes dans la société, le rôle du Canada et du Québec dans les grands conflits mondiaux, l’impact des grandes idéologies occidentales sur la société canadienne et québécoise, etc. L’élève sera appelé à analyser des cas, des situations ou des problèmes à l’aide de documents historiques et de diverses interprétations d’historiens[24].

Au cégep de Saint-Jean, même si, à l’instar des autres établissements, la part du lion est largement remportée par le cours Histoire de la civilisation occidentale, force est de constater que la place du Québec n’est pas négligeable. On mesure même une augmentation des inscriptions depuis 2003, qui coïncide avec l’ajout du cours Histoire de la société québécoise : permanence et changement.

Au collège Ahuntsic, même si la part des cours d’histoire sur le Québec et le Canada semble élevée à première vue avec 28% durant la période, la situation est désastreuse si on étudie la courbe de chacun de ces cours. On constate alors que les cours traditionnellement offerts dans ce champ ont été abandonnés en cours de route pour être remplacés par le cours Histoire des Amériques qui couvre une matière beaucoup plus large que celle du Québec.

C’est au cégep régional de Lanaudière à l’Assomption que l’on constate pour la première fois une augmentation réelle et soutenue dans le temps de l’intérêt porté aux cours d’histoire ayant pour objet le Québec. Autre bonne nouvelle, près du tiers des cours offerts concernent l’histoire nationale.

L’objet « Québec » fragilisé et en perte de vitesse…

Au cégep de Saint-Laurent, il est assez préoccupant de voir que la place du Québec dans le corpus des cours d’histoire est passé de médiocre, soit 7 % des inscriptions totales au début de la période, à inexistante dès le début des années 2000, lorsque le cours Fondements historiques du Québec a cessé d’être dispensé aux rares étudiants qui s’y inscrivaient.

Les cours d’histoire sur le Québec ne sont guère plus populaires au collège Édouard-Montpetit. Les deux tableaux (voir annexe) montrent bien la place négligeable accordée au Québec et l’abandon progressif de ces cours autour de 2005 pour être remplacés par un cours dont la matière porte sur le Québec et le continent nord-américain.

Enfin, on constate une augmentation de l’offre des cours portant sur le Québec au collège Lionel-Groulx qui se mesure à la multiplication de ces cours durant la période. Cependant, il n’y a pas lieu de pavoiser puisque les inscriptions demeurent assez faibles, voire marginales.

Au Champlain regional College – Lennoxville Campus, établissement collégial anglophone, on remarque que l’objet Québec, et ici Canada, ne sont pas mieux représentés que dans les établissements francophones. Bien que le nombre d’inscriptions totales dépasse la moyenne québécoise, établie à 12 % durant toute la période, les courbes de l’évolution des cours montrent bien que tous les cours ayant pour objet le Québec et le Canada ont été abandonnés au courant de la période.

Quand l’histoire nationale est complètement évacuée des cours d’histoire…

Au cégep de l’Outaouais – campus Gabrielle-Roy et au collège de Shawinigan, le cours Fondements historiques du Québec contemporain a cessé d’être offert en 2002. Notons ici aussi qu’aucun cours n’a été offert par la suite pour maintenir l’offre des cours portant sur l’histoire du Québec.

Pour sa part, le cas du cégep John Abbott College, établissement bilingue, est intéressant. D’emblée, il faut noter la très grande variété de cours offerts en histoire touchant un grand nombre de champs de spécialisation. À première vue, la place du Québec et du Canada est imposante si l’on consulte uniquement la liste des cours offerts durant la période. Pas moins de 30 cours sur 140 concernent le Québec et/ou le Canada. Par contre, les courbes des cours montrent bien la faible popularité de ces cours où la plupart des inscriptions dépassent rarement une poignée d’élèves dans ces classes.

La situation du cégep de Chicoutimi et du cégep de Thetford est en tout point semblable puisque l’offre des cours disponibles en histoire du Québec ne représente respectivement que 2% et 3% ; de plus, ces cours portent sur l’histoire régionale, et n’atteignent pas les objectifs de cours d’histoire nationale.

Et finalement, le cas du collège Montmorency est le plus préoccupant de l’ensemble des établissements présentés en ces pages puisqu’aucun cours portant sur le Québec et le Canada n’a été offert durant la période. Il y a lieu de se questionner sur l’absence de l’histoire nationale dans ce collège et l’on pourrait difficilement accuser les élèves d’un manque d’intérêt si aucun cours ne leur est offert.

Un constat qui n’est pas que montréalais…

Il aurait été hasardeux de conclure trop rapidement que la régression de l’offre des cours en histoire du Québec/Canada est un phénomène essentiellement montréalais, qui s’expliquerait notamment par la transformation des clientèles à cause de l’immigration.

Or, la marginalisation de l’histoire nationale est un phénomène qui s’observe dans toutes les régions du Québec, comme en témoignent les données présentées en annexe.

Le diagnostic des enseignants

Au cours des derniers mois, nous avons également sondé 296 enseignants en histoire au collégial pour cerner l’évolution de la place de l’histoire du Québec dans la formation générale au collégial. Depuis, 140 ont répondu à notre sondage en ligne. Près de la moitié des répondants possèdent plus de dix ans d’expérience en enseignement et plus de 60 % d’entre eux ont un statut d’emploi permanent.

Nous leur avons demandé de préciser leur tâche d’enseignement selon les charges de cours qui leur avaient été attribuées lors des sessions d’automne 2009, d’hiver 2010 et d’automne 2010, à propos des principaux cours dispensés dans les programmes de sciences humaines.

Sans surprise, la part du lion revient au cours Histoire de la civilisation occidentale qui est dispensé dans la plupart des programmes de sciences humaines offerts dans les établissements collégiaux partout au Québec.

Nous avons aussi voulu mesurer le nombre de groupes-cours offerts en histoire du Québec durant la même période. La grande majorité des enseignants (73 %) ont répondu ne pas avoir dispensé de cours d’histoire ayant pour objet le Québec au courant des 18 derniers mois.

Face à la disparition de l’offre de cours portant sur l’histoire du Québec, nous avons demandé aux enseignants de se prononcer sur les causes de ce déclin de l’enseignement de l’histoire du Québec au niveau collégial depuis une quinzaine d’années.

Nous avons demandé aux professeurs s’ils considèrent que les principales carences de leurs élèves se situent davantage au niveau des connaissances générales en histoire ou plutôt au sujet de la société québécoise. La grande majorité des répondants ont signifié que leurs étudiants ne possèdent pas les bases minimales d’une culture générale appropriée à l’entrée des études postsecondaires, non plus que les connaissances minimales de leur propre société, de telle sorte qu’ils ne sont pas aptes à exercer les devoirs que confère la vie citoyenne.

Par ailleurs, certains professeurs remarquent avec justesse que les élèves ne parviennent pas à inscrire l’histoire de leur société dans le cycle des grands évènements qui ont marqué l’Occident. À ce sujet, un professeur affirme : « Enfin, les lacunes sur l’histoire générale se répercutent sur leur compréhension du Québec. Comment comprendre le Québec sans connaître les guerres de religion en Occident, l’expansion coloniale de l’Europe ou l’industrialisation ? »

À la question : « Que pensez-vous de la place qu’occupe l’histoire dans la formation générale au collégial ? », la plupart des professeurs ont répondu qu’elle est largement insuffisante, voire inexistante. Ils s’entendent pour dire que l’histoire est une discipline essentielle à la formation fondamentale et que, conséquemment, il faudrait ajouter un cours d’histoire obligatoire pour tous les cégépiens.

Les avis sont partagés sur l’objet du cours qui devrait être ajouté à la formation générale. D’un côté, certains professeurs soutiennent qu’il faudrait étendre l’obligation de suivre le cours Histoire de la civilisation occidentale déjà obligatoire aux étudiants inscrits aux programmes de sciences humaines à l’ensemble des étudiants puisque ce cours est le meilleur outil leur permettant de comprendre le monde dans lequel nous vivons. De l’autre côté, une majorité de professeurs prônent plutôt l’ajout d’un cours d’histoire sur le Québec à la formation générale pour en faire de meilleurs citoyens québécois. Un des répondants explique : « L’ajout d’un cours de formation générale qui présenterait l’histoire du Québec aux XIXe et XXe siècles permettrait d’offrir une meilleure formation quant à la société québécoise et aux courants d’idées et aux forces qui la travaillent à ce jour ». À ce sujet, un autre professeur se demande : « Comment comprendre le monde en général si l’on ne sait pas d’où l’on vient ? »

Nous leur avons finalement demandé d’identifier ce qui pourrait expliquer le déclin de l’enseignement de l’histoire du Québec au niveau collégial depuis une quinzaine d’années. De manière générale, les répondants ont pointé trois causes principales qui expliquent selon eux un tel déclin. D’abord, le mauvais arrimage entre le cours d’histoire du Québec que suivent les élèves au deuxième cycle du secondaire et le cours Les fondements historiques du Québec contemporain offerts aux collégiens, occasionne d’importants chevauchements des contenus. Cela expliquerait en partie le désintérêt grandissant des élèves pour l’histoire nationale.

Ensuite, l’attrait de plus en plus marqué pour les cultures étrangères et la mondialisation des échanges attisent l’intérêt des enseignants et des élèves pour l’international au détriment du national. Un professeur affirme que « Comme la mondialisation est de plus en plus importante, le Québec paraît de plus en plus petit et insignifiant. » Un autre pointe du doigt les facteurs suivants : « L’intérêt pour les cultures étrangères, l’ouverture des frontières et la hausse de l’immigration, facilitent les voyages et stimulent la curiosité pour l’étranger et l’histoire des autres cultures. »

Plusieurs enseignants ont aussi dénoncé le manque de volonté manifeste du gouvernement québécois et, en particulier, des fonctionnaires au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, à accorder à l’histoire nationale une place de choix dans la formation générale au niveau collégial.

« Qui a tué l’histoire du Québec ? »

Au-delà des résultats observés établissement par établissement, il apparait évident qu’il faut chercher une cause commune au véritable désaveu dont semble victime l’enseignement de l’histoire du Québec dans les programmes de niveau collégial. Plusieurs didacticiens ont déjà montré pour le niveau secondaire que le programme d’histoire avait été délibérément déformé afin de gommer les moments forts de la lutte nationale des Québécois : « Comment y arriverait-on ? Entre autres en taisant des côtés historiques de notre histoire qui amènent logiquement un développement de l’identité québécoise sur le plan historique, puisque c’est de cela qu’il est question, sans même parler d’avenir[25]. » Au niveau collégial en revanche, c’est carrément en éradiquant toute référence au Québec et à son histoire qu’on semble en voie de banaliser et de marginaliser le parcours historique des Québécoises et des Québécois.

Ce désaveu ne concerne d’ailleurs pas que le Québec, mais correspond à un mouvement intellectuel prépondérant durant les années 1990, pour qui la référence à un cadre national et l’édification d’une mémoire historique commune est suspectée d’engendrer un sentiment d’exclusion chez ceux qui ne partageraient pas cette appartenance à une nation et à son histoire. Ce mouvement fut d’ailleurs actif au Canada anglais avant d’être popularisé au Québec. Quand Jack Granatstein demandait, à la fin du XXe siècle, qui avait « tué l’histoire du Canada », il pointait notamment la régionalisation de la recherche historique, la surspécialisation des historiens universitaires, l’accent mis sur le multiculturalisme et le déclin organisé de l’histoire nationale au profit de nouveaux objets issus de l’histoire sociale[26].

Cette grande peur des historiens nationalistes canadiens n’avait alors guère ému leurs vis-à-vis québécois. Au contraire, on considérait plutôt que l’érosion de l’idéologie du « nation-building » canadien pouvait justement permettre l’épanouissement d’une vision historique proprement québécoise. Qui plus est, l’étude de ces « limited identities » (désignées les responsables de la mort de l’histoire nationale par Granatstein : histoire des femmes, des autochtones et des autres minorités historiques marginalisées par l’histoire « nationale ») allait de pair avec l’affirmation d’un groupe historiquement persécuté : le peuple du Québec lui-même[27].

Ni les didacticiens, ni les historiens du Québec n’ont donc initialement posé d’objections à la « dénationalisation » de l’enseignement de l’histoire. Devant l’essor de cours d’histoire portant sur des objets exotiques, ils auront plutôt vu la preuve que le Québec pouvait s’ouvrir à d’autres cultures sans craindre nul péril. Un Gérard Bouchard peut ainsi sereinement écrire en 1997 :

Depuis quelques décennies, la représentation de la nation est presque partout en cours de révision ou de réaménagement, sinon de reconstruction. Elle délaisse l’ancien paradigme de l’homogénéité pour celui de la diversité. En conséquence, l’histoire nationale doit être réinventée elle aussi. Au Québec, ce travail est en cours depuis une vingtaine d’années, mais il reste encore d’importantes étapes à franchir.

L’approche par compétences appliquée à l‘histoire se présente même ouvertement comme l’antidote à l’histoire nationale qui ne sert, disait-on, qu’à fouetter l’ardeur patriotique du bon peuple. Ainsi, pour Robert Martineau :

Dans une société démocratique, l’apport irremplaçable de l’histoire à l’école consiste davantage à former des citoyens ouverts, capables de poser des questions, d’émettre des hypothèses raisonnables, de s’informer pour les vérifier, de tirer des conclusions et de défendre ses points de vue que d’instruire des porteurs de drapeau [sic] [28].

Un article, « L’histoire : une discipline au service de l’éducation à la citoyenneté », paru dans la revue Pédagogie collégiale, traduit parfaitement cette impression, dominante il n’y a pas si longtemps, que l’histoire nationale s’est en quelque sorte disqualifiée en cachant l’oppression historique de certaines de ses composantes.

Les élèves sont enfin amenés à prendre conscience que l’histoire du Québec et du Canada se caractérise par un passé chargé de préjugés, de harcèlement et de discrimination, ce qui leur permet de mieux comprendre certains des enjeux qui ont prévalu au développement sociétal québécois et canadien. Notamment par l’identification de groupes-victimes dans notre histoire nationale, tels les femmes, les autochtones, les immigrants et les handicapés, et par la compréhension des valeurs et tendances en cause à cette époque, l’élève peut mesurer les forces qui ont contribué à la formation de la société d’aujourd’hui et du système juridique qui en est issu[29].

On a même alors pu entendre que le meilleur moyen d’intégrer les immigrants à nos raisons communes consistait à leur permettre d’apprendre ici l’histoire de leur pays d’origine.

L’expérience éducative que peuvent faire de jeunes élèves québécois d’origine étrangère ou non dans le cadre de cours portant sur le Québec doit s’inscrire dans l’ouverture à ce que ces jeunes sont et à ce qu’ils portent en eux comme références socio-historiques. Autrement dit, il est nécessaire de les questionner sur les liens qu’ils font entre les connaissances historiques, sociologiques et politiques acquises dans leur pays d’origine et ce qu’ils apprennent sur la société d’ici. Sinon, comment peuvent-ils atterrir et participer au plein développement de la société québécoise[30] ?

Sans commenter ces arguments, considérons simplement qu’ils s’annulent d’eux-mêmes quand on sait qu’il s’agit de jeunes de 16 à 18 ans, par définition presque tous nés au Québec et qui, même s’ils sont issus de l’immigration, n’ont guère eu durant leur courte vie à « atterrir » nulle part. Ce serait justement le rôle du cégep de compléter cet « atterrissage », et non de perpétuer des virages en rond autour de la tour de contrôle… De toute façon, un Robert Comeau peut à l’inverse objecter que « La connaissance de l’histoire de la société québécoise, en particulier pour les élèves issus de l’immigration, devrait être une priorité si nous voulons qu’ils puissent s’intégrer harmonieusement à leur nouvelle société d’accueil[31]. » Un débat que nous ne résoudrons pas ici.

Quoi qu’il en soit, le ministère de l’Éducation s’est donc promptement mis à l’air du temps et a entrepris d’évacuer le national des descriptifs de cours au collégial en insistant sur des objets et des groupes laissés pour compte. Une histoire phylogénétique, qu’elle soit occidentale ou, à plus forte raison, québécoise, est subitement devenue suspecte. C’est donc sans heurt, à mesure que des enseignants expérimentés prenaient leur retraite, que les cours portant sur le Québec ont cessé d’être offerts. Disparaissait ainsi une précieuse expertise professionnelle, acquise depuis la fondation des cégeps, où la recherche et la réflexion sur le Québec avaient pourtant déjà brillé avec éclat.

On tient donc là une première explication au déclin de l’histoire du Québec au collégial : le désir des cégeps eux-mêmes de participer au nouveau multiculturalisme québécois.

Ce phénomène a, à son tour, été amplifié par le nouveau profil académique des jeunes enseignants. Tandis que dans les années 1980 les départements universitaires étaient surtout peuplés de spécialistes du Canada et du Québec, l’éventail des spécialités représentées s’est depuis considérablement élargi, en conformité avec l’analyse que Granatstein avait tirée de la recherche universitaire au Canada anglais. Ainsi, les mémoires et les thèses portent de plus en plus sur des thèmes étrangers, voire non occidentaux, et de moins en moins sur des objets ayant trait au Québec. Plusieurs nouveaux enseignants de cégep, embauchés depuis 2000, n’ont donc acquis sur le Québec qu’un modeste bagage durant leurs études universitaires ; un bagage qui remonte parfois ironiquement à leurs propres études collégiales. Or, ces jeunes enseignants souhaiteront-ils préparer au cégep de nouveaux cours portant sur le Québec alors qu’ils l’ont eux-mêmes très peu étudié à l’université ? Il est permis d’en douter.

Élimination de toute référence au Québec et à son histoire

Disons aussi que l’énoncé des compétences, en particulier dans le programme de sciences humaines, est délibérément flou de sorte d’éviter toute référence à un cadre spatio-temporel spécifique, devenu contingent en regard de l’approche dite par compétences. Ainsi, un cours d’histoire du Québec n’est nullement destiné, comme on pourrait le croire, à expliquer l’évolution historique du Québec de 1867 à nos jours, mais bien à « appliquer à la compréhension du phénomène humain, dans des situations concrètes, des notions en histoire[32] ». La différence n’est pas anodine. Comme nulle part il n’est fait allusion au Québec ou au cadre québécois, il était à prévoir que cette compétence 022S ouvre la voie à l’étude de « contrées » spatio-temporelles plus exotiques que la vallée du Saint-Laurent. En attendant, nulle part la place de l’objet Québec n’est garantie ni même reconnue.

On tient donc là une seconde explication – d’ordre rhétorique – au déclin de l’objet Québec au collégial : l’approche par compétences qui tend à éliminer les mentions du cadre d’application et les références à un corpus de connaissances édifié. En clair, l’important n’est plus de connaître l’histoire du Québec ou même celle du Canada, mais d’assurer la transmission des habiletés inhérentes à la méthode historique. Flous au plan du contenu, muets quant au cadre d’application, les énoncés de compétences sont cependant sentencieux à propos des valeurs qu’un cours doit contribuer à transmettre : civisme, tolérance, ouverture sur le monde.[33] Ces valeurs ont à leur tour induit un éparpillement des éléments de contenu, puisque les cégeps y ont surtout vu l’occasion de faire les choses à leur guise. Pour susciter le choc culturel attendu, on a inauguré des stages à l’étranger et créé des cours portant sur des objets exotiques, et d’autant moins de cours portant sur le Québec, jugé moins à même de procurer le choc culturel attendu. Suivant Réjean Pelletier, de l’Université Laval, « on aborde peu la situation québécoise en elle-même et pour elle-même ; on le fait beaucoup plus dans une perspective comparative[34] ».

Le flou où se trouve plongée la définition des contenus n’aide pas non plus à apprécier le déclin d’un thème comme celui du Québec dans les cours. Aucun établissement ou direction des études n’est ainsi en mesure de dire si un finissant en sciences humaines a ou non entendu parler du Québec durant son passage au collégial. Le flou est manifeste en histoire du Québec. Refondu en 1991, sous le titre Fondements historiques du Québec contemporain, le cours, bien qu’en déclin, s’étiole désormais en une douzaine de titres différents, dont Histoire Québec-Amériques, Canada au XXe siècle, Québec-Canada : perspectives mondes et Histoire du Québec comparée, etc.

Pour attirer des clientèles qui se raréfient, les établissements collégiaux du Québec ont enfin mis sur pied des programmes enrichis, dérivés des humanities des collèges anglophones, offrant tous de l’histoire, mais pratiquement pas d’histoire du Québec et du Canada. On préfère plutôt se lancer à la découverte de l’altérité et faire miroiter aux élèves d’appétissants stages à l’étranger. Leur intérêt serait plutôt tourné vers des contenus alternatifs, dans la mouvance altermondialiste, coïncidant mieux avec un stage touristico-historique en Europe ou en Amérique latine. Selon Marc Chevrier, le terme « international » a d’ailleurs graduellement pris la place qu’occupait jadis celui de « classique » pour désigner l’excellence en éducation. « L’ouverture sur le monde » est devenue une valeur cardinale du réseau collégial. Une « attraction immodérée de l’extérieur », qui débouche sur un « oubli de soi ».

Pour un retour de l’histoire du Québec au collégial

On a assisté depuis cinq ans à une prise de conscience dans l’opinion à propos de la piètre place accordée à l’histoire nationale. Amorcée à l’occasion du débat sur le Renouveau pédagogique au secondaire, il est devenu urgent d’étendre cette réflexion au niveau collégial où l’histoire nationale est presque entièrement évacuée.

Pour Louis Cornellier, un fin observateur du milieu collégial québécois, « à ne pas fréquenter l’histoire, un peuple se vide de sa substance. Le Québec devrait en convenir et donner, dans l’école, des heures à l’histoire. Les querelles d’écoles et de méthodes, par ailleurs passionnantes, sont secondaires[35]. » De même, pour René Durocher, au-delà des querelles épistémologiques, la perception relève, en dernière instance, du destinataire : « Chacun est libre de considérer que son histoire nationale est celle du Canada ou celle du Québec ou celle des Mohawks. Où est le problème ? […] Le problème majeur semble être que les Québécois dans leur ensemble ignorent leur histoire[36]. » Derrière le déclin de l’histoire du Québec, c’est en fait le concept même de nation québécoise qu’on est à sortir des écoles, au profit d’une histoire « citoyenne » qui confond valeurs universelles et valeurs québécoises et qui refuse de voir le cheminement historique du peuple québécois autrement que par une série de singularités[37].

Il est aujourd’hui acquis que l’évacuation des études québécoises au niveau collégial est allée trop loin et qu’une place doit y être accordée afin que chaque finissant puisse au moins reconnaitre les origines historiques du Québec actuel. Cet objectif est pourtant conséquent avec les autres buts de la formation générale et conforme au profil de sortie des finissants du collégial. D’abord, le Québec représente toujours le seul laboratoire commode où expérimenter les concepts mis de l’avant au cégep, tous programmes confondus. Ensuite, une meilleure compréhension des enjeux propres au Québec par de jeunes adultes apparaît urgente compte tenu de l’importance des débats qui défraient l’actualité et de la fragilité de la vie démocratique chez nous. Enfin, si la réforme de l’enseignement au secondaire propose bien du Québec un regard consensuel, d’abord destiné à forger une identité citoyenne, cela s’avère insuffisant. Le niveau collégial doit pouvoir à son tour aborder sans complaisance les crises et les ruptures dans l’histoire du Québec et mieux outiller ceux et celles qui détiendront demain les rênes du pouvoir. Plus généralement, une meilleure connaissance des origines du Québec actuel peut seule permettre à des jeunes de 16 à 19 ans d’intégrer la société, à la veille d’y faire l’expérience du travail, des services publics ou de l’isoloir du bureau de scrutin.

C’est dans cette perspective qu’a été créée, en 2009, à l’instigation de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, la Coalition pour l’histoire dont le porte-parole est le professeur Robert Comeau, également vice-président de la Fondation Lionel-Groulx. À la suite d’intenses consultations, les membres de la Coalition en sont venus à une revendication générale qui permettrait, de l’avis de tous, d’apporter les correctifs à l’alarmant problème de la place de l’histoire et de l’objet Québec au collégial. La Coalition pour l’histoire recommande donc :

Que la formation générale commune au collégial prévoie que les élèves soient en mesure de comprendre l’histoire et les caractéristiques de la société québécoise actuelle.

La Fondation Lionel-Groulx, quant à elle, non seulement soutient cette revendication, mais propose de surcroît que, pour atteindre cet objectif, soit instauré un cours obligatoire d’histoire nationale dans la formation générale de tous les étudiants du réseau collégial québécois.

D’autres pistes pour valoriser les études québécoises

Il existe d’autres avenues à explorer afin de valoriser l’étude de la société québécoise au cégep. L’une d’elles porte sur l’épreuve synthèse que doivent compléter tous les finissants au terme de leur programme d’études. Dans les programmes de sciences et de techniques humaines, ce cours consiste en une « activité d’intégration des acquis » plutôt mal définie à l’heure actuelle et débouchant tantôt sur un travail de synthèse, tantôt sur un rapport de stage. Sans changer la vocation de ce cours, le jeune devrait désormais pouvoir appliquer les compétences acquises au cégep à un enjeu proprement québécois, en vue de susciter un regard critique et le désir de jouer un rôle concret et positif dans son milieu.

De la même manière, on devrait encourager et soutenir les stages se déroulant au Québec. De plus en plus de programmes d’études au collégial se terminent par une quelconque expérience de stage de coopération à l’étranger, destinée en général à sensibiliser l’élève à une réalité étrangère. De tels stages sont très populaires et constituent, dans bien des cas, le moment fort du séjour au niveau collégial, mais ils sont aussi fort coûteux et réservés à une « élite » inscrite à des programmes spéciaux et en mesure de défrayer une partie des coûts. Or le Québec offre lui-même de nombreuses occasions de vivre de telles expériences. Convenablement encouragés, les stages se déroulant au Québec deviendraient vite populaires et combleraient un vide certain. Ils seraient aussi plus démocratiques parce que moins onéreux que des voyages à l’étranger. Ils perturberaient aussi moins les habitudes des communautés d’accueil, tout en s’inscrivant dans une perspective de développement durable, ne serait-ce qu’en termes de diminution de gaz à effet de serre émis sous forme de longs voyages en avion… Un organisme devrait voir à soutenir ces échanges entre les institutions collégiales du Québec et ainsi permettre au plus grand nombre possible de finissants d’entrer en contact avec une autre région, une autre réalité sociale ou un autre contexte professionnel au Québec. Bien que moins spectaculaires que des stages en Europe ou en Asie, de tels projets d’envergure interrégionale ne sont pas moins enrichissants pour les jeunes, dans la mesure où ils correspondent mieux à leur futur rôle dans la société et une occasion sans pareil de mettre en contact de jeunes Québécois et Québécoises de diverses régions.

Ces propositions pourraient rapidement accroître l’ancrage des finissants dans leur milieu et leur donner le goût d’y jouer un rôle positif et tangible. Elles contribueraient aussi à combler d’autres lacunes du régime collégial actuel, dont sa politique des stages de fin de cycle administrée à l’heure actuelle de manière chaotique. Elles sont aussi susceptibles de rallier un nombre croissant d’intervenants, lassés par le cynisme et le laisser-aller ambiants et excédés par la place exsangue allouée à l’étude de la nation québécoise au cégep. 

 

 

 


 

[1] Gouvernement du Québec, Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, tome II : Les structures pédagogiques du système scolaire, 3e édition, août 1965. Martial Dassylva, La naissance des cégeps, 1964-1971… : 52-57. Martial Dassylva, « Le modèle virtuel de l’institut tel que proposé dans le rapport Parent », Bulletin d’histoire politique, vol. 12, 2 (hiver 2004) :49-65.

[2]Formation générale commune, propre et complémentaire aux programmes d’études conduisant au diplôme d’études collégiales. Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009 : 6.

[3] Gouvernement du Québec, Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, t. 1 :152.

[4] « Le cégep selon Fernand Dumont et Guy Rocher », Le Portail du réseau collégial du Québec. http ://www.lescegeps.com/

[5] Micheline Dumont, L’histoire apprivoisée, Montréal, Boréal Express, 1979 : 172-173.

[6] Thérèse Hamel, Lucie Héon et Denis Savard, Les cégeps : une grande aventure collective québécoise, 2e édition. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2008 : 72 et suivantes.

[7] Louise Julien, « Apprendre à se souvenir », Le Devoir, Avenirs, 18 février 1997 : B1

[8] CONSEIL DES COLLÈGES, L’enseignement collégial : des priorités pour un renouveau de la formation. Rapport sur l’état et les besoins de l’enseignement collégial, Québec, Gouvernement du Québec, 1992.

[9]Rapport final de la commission des États généraux sur l’éducation, Rénover notre système d’éducation : dix chantiers prioritaires (janvier 1996) : 58 ; Pour en finir avec l’amnésie historique dans l’enseignement collégial. Mémoire de l’APHCQ présenté à la Commission des États généraux sur l’Éducation. Montréal, 1995 : 6 ; Pierre Graveline, L’histoire oubliée…, Mémoire présenté par la SSJBM à la Commission des États généraux sur l’éducation. Montréal, 1995. 20 p.

[10] « Le rapport Lacoursière sur l’enseignement de l’histoire dix ans après ». Bulletin d’histoire politique Volume 14, numéro 3 (printemps 2006) ; Louise Julien, « Apprendre à se souvenir », Le Devoir, Avenirs, mardi, 18 février 1997 : B1

[11] Robert Comeau, « Il nous faut un enseignement de l’histoire nationale pour comprendre le Québec d’aujourd’hui », Le Devoir, CAHIER SPÉCIAL, samedi, 13 juin 2009, p. i7. Le Devoir, CAHIER SPÉCIAL, samedi, 18 octobre 2008 :g3.

[12]Formation générale commune, propre et complémentaire aux programmes d’études conduisant au diplôme d’études collégiales. Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009 : 23.

[13] Charles Gill, « Cégep 101 ? Une réflexion s’impose », Le Devoir, 23 juillet 2010.

[14] Il faut dire qu’avait alors cours un débat sur l’importance exagérée que semblaient attribuer certains professeurs à leurs propres œuvres ou à celles de leur collègues. Voir notamment Jean Larose, La petite noirceur, Boréal, 1987, où l’auteur fustige le laisser-aller des professeurs en leur reprochant de ne s’intéresser qu’à leur propre production et surtout de consacrer plus de temps à la création littéraire qu’à l’apprentissage de la littérature.

[15]Louis Cornellier, « Enseignement de la littérature au niveau collégial – Le retour du bordel », Le Devoir, 27 mars 2010

[16]Lettres québécoises, « L’enseignement de la littérature au cégep : La démission des professeurs », Éditorial (numéro 128, hiver 2007).

[17] Max Roy, Enseignement collégial, littérature québécoise et théâtre au Québec, Rapport de recherche, Montréal, UQAM, 1997, 106 p. ; Max Roy, La littérature québécoise au collège (1990-1996), Montréal, XYZ éditeur, 1998, Coll. Documents, 104 p. ; Max Roy, « L’enseignement de la littérature. Aspects critiques et historiques. La réforme des programmes de 1993 », Correspondance, Volume 15, numéro 2 (Décembre 2009).

[18]Sciences humaines Programme d’études préuniversitaires 300.A0. Québec, Ministère de l’éducation, du sport et des loisirs. Automne 2002 : 3.

[19] Programme Histoire et éducation à la citoyenneté. Document de travail. MELS. Version du 15 juin 2006 : 5.

[20] Analyse du nouveau programme d’histoire au secondaire. Programme de formation de l’école secondaire. Rapport du Comité d’analyse (histoire) présenté au Comité-conseil du programme d’études préuniversitaires de Sciences humaines. Février 2008 : 11.

[21] Signalons en outre que 75 % des élèves complèteront leurs études collégiales sans avoir suivi un seul cours d’histoire. Le sondage a été mené entre le 19 et le 23 novembre 2007 auprès de 34 membres de l’Association des professeurs d’histoire des collèges du Québec (APHCQ) provenant de 20 établissements. Le Service régional d’admission au collégial du Montréal métropolitain (SRAM) représente 38 établissements collégiaux. http://www.sram.qc.ca/

[22] En annexe, les tableaux qui présentent les inscriptions totales concernent l’ensemble des cours offerts en histoire, tandis que les tableaux présentant des courbes montrent l’évolution des principaux cours offerts dans la plupart des établissements, les cours portant sur le Québec et le Canada, de même que ce que nous considérons être des champs en émergence et qui proposent une dimension internationale ou altermondiste.

[23] Le collège ayant été fondé en 1999, il ne nous a donc été impossible de recueillir des données antérieures à 2000.

[24] http://www.cgodin.qc.ca/cgi-bin/index.cgi?page=c8_16#330213GG

[25] Félix Bouvier et Laurent Lamontagne, « Quand l’histoire se fait outil de propagande », Le Devoir, 28 avril 2006 : a9.

[26] J. L. Granatstein, Who Killed Canadian History ? Toronto, Harper Collins Publishers, 1998, 156 p. ; J. M. S. Careless, « Limited Identities In Canada », Canadian Historical Review, 50,1 (mars 1969) : 1-10. Voir également « Limited Identities – Ten Years Later », Manitoba History, 1 (printemps 1976) : 3-9 ; Bernard Dionne, Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 52, n° 2, 1998 : 243-250.

[27] Fernand Ouellet, The Socialization of Quebec Historiography since 1960. 1988, North York, Robarts Centre for Canadian Studies ; Robert Comeau et Bernard Dionne, dir., À propos de l’histoire nationale (Sillery, Septentrion, 1998).

[28] Louis Cornellier, « Mon histoire est-elle une épopée ? » Le Devoir, 19 décembre 1998 : D9. René Durocher et al. L’enseignement de l’histoire : Une réforme à poursuivre. Cité par Le Devoir, 22 juillet 1997 : A7

[29] Paule Mauffette, « L’histoire : une discipline au service de l’éducation à la citoyenneté », Pédagogie collégiale, vol. 19, no. 3 (hiver 2005) : 20.

[30] Catherine Foisy, « Notre manière de transmettre le Québec ? », Le Devoir, 28  ars 2008 : a8

[31] Robert Comeau, Le Devoir, CAHIER SPÉCIAL, 17 octobre 2009 : i4

[32] Compétence 022S, nommément : « Appliquer à la compréhension du phénomène humain, dans des situations concrètes, des notions disciplinaires. » http ://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/index.asp

[33] Rappelons l’exception de la compétence réservée pour le cours Littérature québécoise. MELS, Description de la formation générale, http ://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/DescFG.asp

[34] Christian Rioux, « Le Québec n’a plus la cote au cégep », Le Devoir, 11 mars 2008.

[35] Louis Cornellier, Le Devoir, 12 décembre 2009, p. f11

[36] Louis Cornellier, « Mon histoire est-elle une épopée ? », Le Devoir, 19 décembre 1998 : D9 ; René Durocher et al. L’enseignement de l’histoire : Une réforme à poursuivre. Cité par Le Devoir, 22 juillet 1997 : A7

[37] Un article de magazine fait notamment grand bruit en dénonçant l’impact du nouveau programme en histoire sur le contenu des manuels scolaires au secondaire en histoire : Christian Rioux et Magali Favre « Les manuels de l’insignifiance », L’Actualité, (1er avril 2008). Également, Mathieu Bock-Côté, La Dénationalisation tranquille, Montréal, Boréal, 2007 : 123.

Cette étude, commandée par la Fondation Lionel-Groulx, a pour objectif de situer la place de l'histoire en général et de celle du Québec en particulier dans la formation de niveau collégial. Le mandat consiste aussi à voir comment parvenir à revaloriser la place de l'enseignement consacrée à l'histoire et à une meilleure connaissance de la société québécoise par les finissants.

Récemment publié