L’idéal de l’indépendance du Québec, du FLQ au PQ

Durant dix années fébriles, de 1962 à 1972, un mouvement clandestin, le Front de libération du Québec (FLQ), a marqué l’histoire du Québec et du Canada. Il a eu recours au terrorisme dans son combat pour l’indépendance du Québec. Ses militants brûlaient d’impatience et de romantisme révolutionnaire. Avec tout l’idéalisme de la jeunesse, ils croyaient que la violence pourrait jouer un rôle de détonateur, d’accélérateur de l’histoire.

 

Durant dix années fébriles, de 1962 à 1972, un mouvement clandestin, le Front de libération du Québec (FLQ), a marqué l’histoire du Québec et du Canada. Il a eu recours au terrorisme dans son combat pour l’indépendance du Québec. Ses militants brûlaient d’impatience et de romantisme révolutionnaire. Avec tout l’idéalisme de la jeunesse, ils croyaient que la violence pourrait jouer un rôle de détonateur, d’accélérateur de l’histoire.

 

Le FLQ a vu le jour pendant les années de la Révolution tranquille. La majorité historique francophone du Québec a alors relevé la tête, après avoir longtemps vécu comme une nation dominée et colonisée. Un mouvement précurseur, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), a été fondé en 1960. Il a amorcé une lutte démocratique, longue et exigeante, fondée sur l’espoir de faire un jour du Québec un pays. Le Parti québécois a pris la relève.

 

Les militants les plus radicaux du FLQ rêvaient, en outre, d’une utopique révolution socialiste. Le principal animateur de la revue de gauche Parti pris (1963-1968), Pierre Maheu, a bien décrit l’air du temps au début des années 1960 : « Nous nous trouvions unanimes quant à une démarche centrale : la révolution. Et l’essentiel de ce qu’aura été Parti pris, ce qu’il y a eu là de meilleur, est aussi ce qui en fut l’erreur la plus manifeste : nous croyions que la révolution était pour bientôt. » Maheu ajoute que « cette révolution qui n’a pas eu lieu est la donnée la plus importante de l’histoire récente du Québec1 ». Le FLQ et son organe officiel, La Cognée, croyaient, eux aussi, que la révolution était pour bientôt. Ils espéraient que le Québec serait un pays, indépendant d’abord, puis socialiste.

Pour bien comprendre l’aventure du FLQ, il faut rappeler que ce mouvement est né et a grandi dans un contexte international marqué par la montée des luttes révolutionnaires. Le FLQ était l’incarnation québécoise d’une violence politique qui explosait partout dans le monde : les Black Panthers et le Weather Underground aux États-Unis, l’IRA en Irlande, l’ETA au Pays basque, les guérillas en Amérique latine, les luttes de libération au Vietnam et en Palestine, sans oublier les récentes révolutions victorieuses à Cuba et en Algérie. Mais au-delà de toutes les influences étrangères, le FLQ a toujours évoqué comme modèle la lutte armée menée ici par les Patriotes, lors des Rébellions de 1837-1838, point culminant de la violence politique dans notre histoire.

Le FLQ a réussi à rassembler par vagues successives, dans une douzaine de réseaux, quelques centaines de militants et des milliers de sympathisants, surtout des jeunes, issus en majorité des milieux ouvriers et populaires. C’étaient pour la plupart des Québécois francophones de souche, mais le mouvement a attiré quelques Anglo-Québécois comme Nigel Hamer, un des ravisseurs du diplomate britannique James Cross, et Stanley Gray, un sympathisant notoire. Il a aussi pu compter sur plusieurs Québécois issus de l’immigration, dont Jacques Lucques, Georges Schœters, François Schirm, les frères André et Roger Normand, et plusieurs autres que les autorités qualifiaient d’« agitateurs étrangers », bien sûr. Quant aux femmes, au nombre d’une vingtaine sur quelque 250 militants arrêtés, elles sont surtout entrées en action au FLQ vers la fin des années 1960.

Les réseaux du FLQ

Les principaux réseaux du FLQ, au nombre d’une douzaine, furent les suivants : le tout premier, fondé au printemps 1963 par Raymond Villeneuve, Gabriel Hudon et Georges Schœters ; l’Armée de libération du Québec (ALQ), de Jean La Salle, André Wattier et Robert Hudon en 1963-64 ; le réseau relié à La Cognée, organe officiel du FLQ lancé en 1963 et animé par Jacques Désormeaux durant une dizaine d’années ; l’Armée révolutionnaire du Québec (ARQ), de François Schirm, en 1964 ; le réseau de soutien au Black Liberation Front américain, de Michelle Duclos et Michèle Sauilnier, en 1965 ; le réseau de Gaston Collin, en 1965 ; le réseau Vallières-Gagnon, en 1965-66 ; le réseau de Pierre-Paul Geoffroy, en 1968-69 ; le réseau de Jacques Lanctôt et Paul Rose, en 1969-70 ; le réseau formé autour de Pierre-Louis Bourret et François Séguin en 1970-71 ; le réseau Saint-Henri de Jacques Laliberté et Bernard Blondin, en 1970-72 ; la Délégation extérieure du FLQ à Alger, de Raymond Villeneuve et Normand Roy, en 1970-72 ; et le groupe de Reynald Lévesque, en 1971-72. D’autres noyaux terroristes ont existé brièvement.

La violence du FLQ a causé la mort de dix personnes, dont quatre militants, et fait plusieurs dizaines de blessés. La tragédie la plus connue a été l’assassinat non prémédité, mais odieux, du vice-premier ministre du Québec, Pierre Laporte, kidnappé lors de la crise d’Octobre. Il y eut aussi trois victimes d’attentats à la bombe : Wilfred O’Neil, un veilleur de nuit, en 1963 ; Thérèse Morin, la secrétaire du patron d ’une usine de chaussures, en 1966 ; et Jeanne d ’Arc Saint-Germain, une employée du ministère de la Défense à Ottawa, en 1970. Une tentative de vol d’armes a fait deux morts en 1964, deux employés de l’armurerie, Alfred Pinish et Leslie McWilliams. Enfin, quatre militants du FLQ ont perdu la vie : Gilles Legault, qui s’est pendu en prison avant son procès en 1965 ; le jeune Jean Corbo, qui a péri en déposant sa bombe en 1966 ; Pierre-Louis Bourret, abattu lors d’un vol à main armée en 1971 ; et, la même année, François Mario Bachand, assassiné à Paris dans un règlement de comptes au sein du FLQ.

Le cas de François Schirm et Edmond Guénette est unique dans les annales du FLQ : ils ont été condamnés à mort en 1965 pour meurtre qualifié, à la suite du raid tragique dans une armurerie. Leur sentence a toutefois été commuée en emprisonnement à perpétuité. C’est Schirm qui détient le record pour la durée d’emprisonnement parmi les militants felquistes, soit presque 14 ans.

Le FLQ a commis près de 300 attentats à la bombe dont plusieurs n’ont jamais été éclaircis. L’un des plus destructeurs a été perpétré à la Bourse de Montréal, le 13 février 1969, et a fait 27 blessés dont trois grièvement. Mais on doit à la vérité de dire que la bombe la plus puissante qui ait explosé au Québec dans les années 1960 n’a pas été l’œuvre du FLQ. Ce fut le Vive le Québec libre ! lancé par le président français, Charles de Gaulle, du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967. Une détonation fulgurante qui a fait connaître le Québec et la cause de l’indépendance dans le monde entier.

Un long et patient travail

La violence désespérée du FLQ était sans issue, et il nous faut refuser toute complaisance à son égard. C’était une stratégie vouée à l’échec face à l’ampleur des forces de la répression. Ses méthodes n’avaient pas l’appui de la population, malgré une certaine sympathie pour le mouvement et ses objectifs, comme lors de la lecture de son manifeste à la radio et à la télévision, en octobre 1970. Le FLQ est toutefois un phénomène social et politique qui s’analyse et s’explique. Comme le disait souvent le leader du Parti québécois et futur premier ministre du Québec René Lévesque, qui a toujours fermement condamné la violence : « Le terrorisme est le symptôme vivant d’une maladie, il n’en est pas la cause ». Et c’est Lévesque et le PQ qui ont vaincu le terrorisme.

Grâce en effet à la montée rapide du Parti québécois, fondé en 1968 puis élu en 1976, grâce aux réformes majeures qu’il a accomplies comme l’adoption de la Charte de la langue française, nous avons réalisé de grands progrès et avancé vers notre idéal. Mais deux référendums plus tard, le Québec n’est toujours pas un pays. Il est passé bien près de le devenir en 1995 quand près de deux millions et demi de nos compatriotes ont voté OUI, dont 61 % des francophones. Le PQ reste toujours la meilleure option, aujourd’hui en 2020, car sa seule raison d’être, c’est est de faire l’indépendance du Québec. C’est un objectif en soi, un projet de société qui devrait faire rêver les jeunes en quête de grands chantiers à entreprendre, comme la création d’un pays vert.

Si le terrorisme du FLQ a provoqué à l’époque une prise de conscience et joué le rôle d’un puissant électrochoc, il n’a pas été un raccourci sur le chemin de la liberté. La violence ne remplacera jamais le long et patient travail de persuasion démocratique et de mobilisation de la société civile qui, seul, pourra convaincre la majorité de nos compatriotes de dire OUI à l’indépendance.

C’est à ce prix que nous pourrons nous donner un pays. Un pays d’origine, de culture et de langue françaises, fier de ses racines et de son histoire. Un pays républicain et laïc. Un pays vert, prospère et épris de justice sociale. Un pays qui vivra à sa façon, sûr de ce qu’il est, enrichi de l’apport de ses peuples autochtones, de sa minorité anglophone et des gens venus de partout pour y vivre avec nous. Un pays ouvert sur le monde et prêt à se joindre au concert des nations. Ce jour-là, enfin, le Québec prendra sa juste place parmi les pays libres, accomplissant pacifiquement le rêve impétueux des jeunes militants du Front de libération du Québec.

 

 


1 Postface d’un ouvrage posthume, Un parti pris révolutionnaire, Éditions Parti pris, 1983. 321

 

* Écrivain, journaliste et syndicaliste à la retraite

** Ce texte est la version légèrement remaniée de l’épilogue du livre FLQ. Histoire d’un mouvement clandestin, dont la troisième édition a paru chez VLB Éditeur en septembre 2020.

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