La pratique indépendantiste et la question constitutionnelle

Président de Génération nationale

Nous sommes invités, dans le cadre de cette université d’été, à nous prononcer quant au moment optimal de l’adoption d’une constitution québécoise dans le processus d’indépendance. La constitution doit-elle précéder ou suivre la réalisation de l’indépendance ? Nous répondrons d’emblée que, pour nous, l’indépendance doit quitter le registre de l’idéal et de l’événementiel pour s’ancrer dans le réel et être vue pour ce qu’elle est véritablement : un processus. Par conséquent, l’adoption d’une constitution a lieu pendant la réalisation concrète de l’indépendance, dont elle est un jalon majeur, et ne saurait être à positionner par rapport à un hypothétique « grand soir ».

Président de Génération nationale

Nous sommes invités, dans le cadre de cette université d’été, à nous prononcer quant au moment optimal de l’adoption d’une constitution québécoise dans le processus d’indépendance. La constitution doit-elle précéder ou suivre la réalisation de l’indépendance ? Nous répondrons d’emblée que, pour nous, l’indépendance doit quitter le registre de l’idéal et de l’événementiel pour s’ancrer dans le réel et être vue pour ce qu’elle est véritablement : un processus. Par conséquent, l’adoption d’une constitution a lieu pendant la réalisation concrète de l’indépendance, dont elle est un jalon majeur, et ne saurait être à positionner par rapport à un hypothétique « grand soir ».

L’enjeu républicain

On entend régulièrement parler, dans les rangs souverainistes, de la nécessité d’adopter un régime républicain qui serait enchâssé dans le texte constitutionnel. Il faut se méfier de ce genre d’effet de mode, qui dénote souvent chez les souverainistes une tentation de la fuite en avant. Se dire « républicain » n’est pas une solution miracle qui, parce qu’elle remplacerait l’emploi des vieilles étiquettes d’« indépendance » et de « souveraineté », mènera nécessairement à une forte adhésion au projet indépendantiste. L’évitement des vrais termes pour se livrer à l’utilisation passe-partout d’un concept – qui serait de toute façon à expliquer en long et en large aux Québécois – relève d’une logique encore trop répandue chez les souverainistes, soit une croyance démesurée dans le fait qu’un changement de marketing et d’emballage pourrait leur donner congé d’une véritable transformation de paradigme.

Cela n’empêche pas que les Québécois sont foncièrement républicains, partisans de l’égalité des citoyens, de l’intégration de chacun, de la laïcité des institutions et d’une langue publique commune. Le projet indépendantiste doit donc être foncièrement républicain, mais il nous semble inutile de se lancer dans une autre sempiternelle bataille de vocabulaire, qui accentue l’impression que les souverainistes sont déconnectés du réel.

Cet aparté étant terminé, revenons à la question de base : quelle serait la pertinence d’adopter une constitution avant de réaliser l’indépendance ?

Le modèle du « bon gouvernement »

Tout au long de son histoire, le Parti québécois a opté pour le modèle du « bon gouvernement », faisant ainsi campagne, au cours des scrutins auxquels il a participé, sur des enjeux inhérents à la province de Québec. Parallèlement à cela, ledit modèle opérant une distinction claire entre la question du régime et celle de la gouvernance, le PQ y va généralement d’un engagement référendaire parfois flou, parfois fermement engagé, ou encore officiellement évacué.

Dans le premier cas, cela veut dire qu’il peut y avoir un référendum au cours de la semaine suivant l’élection d’un gouvernement péquiste comme il peut ne jamais y en avoir, si la certitude de l’emporter n’est pas au rendez-vous. C’est ce que Lucien Bouchard appelait les « conditions gagnantes », Bernard Landry « l’assurance morale de le gagner », positions rejoignant aussi le mantra de Pauline Marois à l’effet qu’il « n’en y aura pas tant que les Québécois ne seront pas prêts ». Dans le second cas, le PQ se présente devant l’électorat avec la promesse de tenir une consultation référendaire au cours de son mandat, comme ce fut le cas en 1976 et en 1994. Dans le troisième, comme lors des élections de 1981 et de 1985, il s’engage à ne pas tenir de référendum au cours du mandat sollicité.

Toutes ces approches, aussi divergentes soient-elles au niveau de l’empressement et de l’évaluation du potentiel victorieux d’un référendum à un moment X ou Y, ont ceci en commun : en attendant le « grand soir », celui où assez de « Oui » seront additionnés, le PQ agira dans le respect intégral du cadre canadien dans sa manière de gouverner, et ce même si le Québec n’est toujours pas signataire de l’ordre constitutionnel canadien de 1982, imposé dans des circonstances obscures désormais un peu plus documentées qu’auparavant1.

Une constitution provisoire comme premier geste d’une pratique indépendantiste

Il me semble majeur de rompre clairement avec le gouvernement des juges issu du processus illégitime de 1982. Se conformer à celui-ci est dangereux pour le projet souverainiste. C’est le « lose-lose » du modèle de la gouvernance provinciale : un bon gouvernement péquiste démontrera que le Canada est fonctionnel tandis qu’un mauvais ne donnera envie à personne de faire un pays avec des gens qui ne sont même pas en mesure de gouverner une simple province2. Dès que l’on comprend l’échec de ce modèle, le débat sur le « moment » de l’adoption de la constitution doit se poser à travers la révision de l’indépendantisme, pas en tant que simple question tactique.

La priorité est de faire de l’indépendance un processus, pas un événement, un moment ou un grand soir messianique, pour que le projet ne soit plus qu’une simple affaire de drapeaux, qu’il se reconnecte aux enjeux touchant intimement les Québécois, qu’il s’incarne dans des politiques qui y répondent. Dans une telle perspective, il va de soi que l’élection doit ouvrir ledit processus, car c’est là un non-sens que des souverainistes gouvernent pour autre chose que pour leur raison d’être. C’est sensiblement ce que Pierre Karl Péladeau promettait lors de la dernière course à la direction du Parti québécois, alors qu’on pouvait lire dans sa plateforme qu’il souhaitait, en 2018, obtenir un mandat pour réaliser concrètement l’indépendance3. L’élection confère ainsi la légitimité d’agir et de mettre en place un programme politique.

Dans une telle mesure, le premier geste d’un gouvernement indépendantiste devrait être l’adoption d’une constitution provisoire. La Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, plus connue sous le nom de loi 99, a été adoptée en l’an 2000 pour répondre à la loi sur la clarté référendaire de Stéphane Dion. Ladite loi 99 pourrait être le véritable squelette de la constitution provisoire. Cette dernière ne doit pas s’étendre sur un trop grand nombre de détails polémiques, mais inclure les dispositions essentielles, dont la langue officielle de l’État québécois – la Charte de la langue française pourrait y être intégrée – et la laïcité de ce dernier. Pierre Karl Péladeau proposait, au cours de la course à la direction du PQ, qu’on y intègre également le développement régional en tant que fondement. Peut-être encore plus importante, la création d’une citoyenneté québécoise devrait être centrale à la constitution provisoire. La définition de ce qu’est un Québécois – et de qui est apte à se prévaloir des droits démocratiques et des devoirs qui lui sont réservés – est fondamentale pour la construction effective d’une nation. L’idée d’une citoyenneté québécoise était d’ailleurs dans la plateforme du PQ lors de l’élection de 2012 comme élément d’une « gouvernance souverainiste » qui s’est avérée, au final, pour le moins difficile à percevoir.

La nécessité de procéder s’accompagne de celle de le faire rapidement à la suite de l’élection d’un parti indépendantiste aux commandes de l’État. La constitution est tout aussi importante que peu au goût du jour. Pour éviter que cela ne semble être une lubie souverainisto-péquiste, lubie qui n’aurait pas d’effets autres que symboliques, la question de la constitution provisoire doit se régler rapidement.

Cet exercice est fondamental pour instaurer le cadre institutionnel au sein duquel l’action de l’État québécois des prochaines années se situera. Si on décide que le Canada de 1982 n’appliquera plus son système légal au Québec, il est donc primordial que le Québec définisse lui-même ses propres règles d’action.

La Constitution du Québec comme aboutissement d’un processus

Faire de l’indépendance un processus plutôt qu’un événement signifie qu’il faille percevoir le statut officiel d’État indépendant comme le point d’aboutissement d’une réalité, d’un état de fait. Par conséquent, une série de politiques économiques, sociales, environnementales et identitaires devront suivre l’adoption de la constitution provisoire afin d’ériger le Québec indépendant.

Parallèlement à cet exercice de pratique indépendantiste, soit de gouvernance éliminant l’influence du régime canadien au Québec, la constitution permanente4 serait en préparation dans le but d’être adoptée en fin de mandat par voie référendaire. Un résultat positif signifierait que le processus d’accession à l’indépendance serait clos, car réussi.

Afin de l’établir, la solution la plus sécuritaire demeure celle d’une commission spéciale constituée d’experts, nommée par l’Assemblée nationale et mandatée afin de rédiger la constitution du pays du Québec. Il sera cependant fondamental que les citoyens soient consultés et que tous les intérêts puissent être représentés au sein de la commission afin que cela ne vire pas en exercice d’expertocratie.

Nous devons aussi dire quelques mots sur cette mode qui consiste depuis quelques années à accorder des vertus miraculeuses au procédé de l’assemblée constituante. Oui, la chose est mobilisatrice, mais on aurait tort de penser que les résultats seraient les mêmes qu’en Amérique latine, dans des États indépendants véritablement effectifs. Le danger est réel que les Canadians confisquent le processus soit en le boycottant pour le dévaloriser – comme en 1994 lors des Consultations sur l’avenir du Québec – soit en l’envahissant afin d’y imposer le statu quo.

Une autre forme de constituante est proposée dans certaines franges du mouvement souverainiste, et pas chez les plus fermes d’entre elles. On pense ici au scénario promu par Québec solidaire (QS), qui mettrait sur pied une assemblée où l’ensemble des options constitutionnelles serait défendu, y compris une réforme du Canada et le statu quo pur et simple. Il ne s’agit donc pas de consulter afin de définir les contours du Québec indépendant, mais de déterminer si ce dernier est bel et bien l’objectif. Sur papier, l’exercice semble des plus louables, car établissant un système démocratique transparent.

Dans les faits, cependant, c’est là où il faudra se rappeler que le Québec est toujours sous la tutelle canadienne et qu’Ottawa ne lésine généralement pas sur les moyens afin de saboter la démocratie québécoise, comme on a pu le voir en 1995. On pourrait donc s’attendre à ce que les forces canadianistes mobilisent tous leurs efforts afin que le statu quo soit le choix sur lequel l’assemblée constituante à la sauce QS s’arrête. De plus, au strict niveau des principes, une instance consultative où l’indépendance ne soit pas la seule option, si elle est une démarche respectable, va néanmoins à l’encontre de ce que nous prônons, soit l’élection d’un gouvernement engagé à réaliser l’indépendance.

 

 


1 Frédéric Bastien, La bataille de Londres : dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel, Boréal, 2013.

2 Pour une critique du référendisme et du mal nommé « étapisme », je renverrai le lecteur à mon premier ouvrage.
Simon-Pierre Savard-Tremblay, Le Souverainisme de province, Boréal, 2014.

4 Nous n’impliquons nullement par là que celle-ci ne soit pas amendable ou complètement changeable.

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