Le français scientifique ou Si ce n’est pas rédigé en anglais…

L’auteur est directeur de l’Institut de la Francophonie pour l’informatique, Hanoï, Vietnam. Cet article s’est mérité une mention du prix André-Laurendeau.

Une politique officielle en faveur d’une langue étrangère ne peut s’imposer que si des mesures sont prises pour la faire accepter. Aussi, la gestion des perceptions prend autant d’importance que les mesures concrètes prises pour en développer l’usage. Cet article a pour but de démontrer le bien-fondé de cette assertion à partir de faits facilement observables, plus particulièrement dans le domaine des sciences et des techniques où l’anglais a été clairement imposé par les Anglo-Saxons en collaboration avec les autorités des pays non anglophones de l’Union européenne et d’ailleurs. Or, contrairement à ce que l’on pourrait croire, si le monde scientifique des pays non anglophones a accepté l’anglais aussi facilement dans la communication scientifique – au point où cet usage déborde largement sur les scènes purement nationales – c’est qu’il est très sensible à la propagande et que la manipulation des esprits prétendument scientifiques s’est révélée être très facile en dépit du fait qu’il est aisé de démontrer que cet usage est contraire à l’intérêt des peuples et des chercheurs qui ne sont pas des anglophones natifs.

Cette manipulation des perceptions est faite à très large échelle et elle est efficace car elle s’appuie essentiellement sur l’ignorance de faits dont la connaissance inhiberait automatiquement son action. L’article donne également un aperçu des mesures concrètes prises par la minuscule frange des gens de pouvoir pour promouvoir et imposer l’anglais en Europe continentale aux dépens des intérêts de ceux qui en font usage. Cette élite n’en est probablement pas consciente et la frange des gens de pouvoir est probablement la première à avoir été touchée par la propagande.

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Les pressions politiques pour remplacer une langue par une autre peuvent s’exercer de manière brutale. Louis-Jean Calvet (1) semble avoir été l’un des premiers chercheurs en sociolinguistique à décrire les méthodes, bien connues aujourd’hui, qui furent utilisées depuis la fin de la seconde guerre mondiale par le système soviétique pour imposer le russe dans les républiques non russophones dans le but qu’il remplace les langues locales. Il explique également le rôle crucial du système éducatif dans ce processus et comment ils furent mobilisés dans ce but. De la même manière, l’une des premières préoccupations des Américains après le départ des Français du Vietnam fut d’encourager les bibliothèques universitaires du sud à retirer de leurs étagères tous les livres en langue française qui y figuraient pour les remplacer de manière systématique par des livres américains. C’est ainsi que, par camions entiers, les livres qui servirent à former l’élite vietnamienne durant la période coloniale disparurent en quelques mois, comme le rapportèrent des témoins oculaires vivant à Saïgon au moment où la présence américaine commença à s’y renforcer. Cependant, de nos jours, la volonté politique pour forcer le choix d’une langue consacrée aux échanges internationaux est aussi importante que la manipulation de la population pour laquelle ce choix est fait, de façon à ce qu’elle l’accepte dans le rôle qu’on lui a ainsi conféré. Le système soviétique a clairement échoué dans sa tentative d’imposer le russe dans les républiques non russophones et, aujourd’hui, 15 ans après l’effondrement de l’Union soviétique, le ressentiment à ce propos vis-à-vis de la Russie demeure très vivace. C’est pourquoi l’imposition de l’anglais comme langue de communication internationale par les autorités de Bruxelles, secondées souvent dans ce rôle par la plupart des autorités nationales des pays de l’UE, doit être doublée par un certain nombre de mesures visant à faire accepter par les populations ciblées ce choix comme s’il était de leur propre ressort, comme s’il dépendait de leur propre évaluation faite en toute liberté. Psychologiquement tout autant que socialement, la langue anglaise doit apparaître comme étant le choix naturel et rationnel du peuple pour que la volonté politique de la promouvoir ait des chances d’aboutir.

Lorsqu’on interroge les scientifiques et les chercheurs à propos des raisons qui semblent avoir fait de l’anglais la lingua franca de la communication scientifique internationale, ils répondent en donnant généralement leur propre interprétation de ce phénomène plutôt que d’essayer d’analyser les causes objectives qui ont abouti à la situation actuelle. Cette situation nous est présentée comme la conséquence d’un accident historique mais, le plus souvent, comme le résultat d’une tendance naturelle, comme le travail d’une main invisible au même titre que celle d’Adam Smith qui, sur la scène économique, est censée synchroniser les marchés avec les besoins individuels. La diffusion de l’anglais est considérée comme le résultat d’une loi naturelle qui s’appliquerait aux systèmes sociaux de manière aussi rigoureuse que les lois de la physique s’appliquent au comportement mécanique et à la trajectoire d’un solide, indépendamment de toute volonté humaine.

Gestion des perceptions

Dans cet article, je veux expliquer que la diffusion actuelle de l’anglais comme lingua franca de la science et de la technologie n’est pas la conséquence du libre choix de la majorité. Alors que l’usage de la langue anglaise a fait l’objet d’une promotion intense de la part de ses locuteurs natifs, elle a été imposée à la majorité par une toute petite minorité de décideurs en Europe continentale, tandis que l’importance de l’anglais, la prétendue nécessité d’y recourir dans un nombre croissant de situations, ainsi que sa diffusion apparente ont été le résultat d’une gestion habile des perceptions de la population qui a introduit des distorsions dans la manière dont les scientifiques (et bien d’autres catégories sociales) considèrent leur propre communauté et interagissent avec elle. Le recours massif à l’anglais comme moyen de communication internationale entre les scientifiques n’a pas été le résultat d’un vote populaire. Cependant, les habitudes qui se sont construites au cours des trente dernières années ne seront pas facilement inversées lorsqu’on constate que le monde universitaire, plus particulièrement, est notoirement hostile à toute proposition de changement. Toute modification des habitudes établies dans le secteur de la communication scientifique ne pourra provenir que d’une prise de conscience croissante que la situation actuelle désavantage tous les scientifiques qui ne sont pas des locuteurs anglophones natifs.

Avant d’entrer dans le détail de la démonstration, il faut tenir compte du fait que les questions linguistiques peuvent facilement déclencher des réactions émotionnelles et que les opinions personnelles peuvent ne pas refléter correctement la réalité, car ces opinions sont émises par des gens qui peuvent indûment généraliser leur propre situation ou avoir des vues partiales basées sur l’attrait ou la répulsion qu’une situation linguistique particulière peut leur inspirer. Par exemple, dans un monde où l’anglais semble triompher, nous pouvons être surpris de découvrir que certaines des personnalités qui ont un énorme pouvoir d’influence dans les cercles intellectuels et politiques, tels que Samuel Huntington (2), considèrent que la diffusion de l’espagnol représente une menace directe à l’encontre de l’homogénéité linguistique des États-Unis et de la cohésion de son peuple. A l’inverse, l’homme d’affaires qui prend constamment l’avion en Europe occidentale, pour rendre visite à ses clients ou s’en faire de nouveaux, est en droit de penser que nous basculons rapidement dans un monde ou l’anglais devient la langue mondiale alors que le nombre de locuteurs natifs ne cesse de se réduire depuis une trentaine d’années, passant d’environ 7% de la population mondiale à 4,84 % en 2005 (3) !

En science et en technologie, nous entendons souvent que si l’anglais est fréquemment choisi comme langue de communication pour les publications et la communication verbale, c’est parce qu’il est la seule langue à disposer du vocabulaire adéquat pour représenter les concepts scientifiques modernes et leurs applications techniques récentes. La presse de langue anglaise s’empresse de rapporter et de souligner tous les commentaires des hauts fonctionnaires et des politiciens en vue dès qu’ils valorisent l’usage de l’anglais pour la communication internationale. Nous pouvons, par exemple, lire à propos de l’engouement des Sud-Coréens pour l’anglais et qui iraient jusqu’à se faire opérer (4) pour améliorer leur prononciation et leur accent tandis que l’auteur de l’article passera sous silence les statistiques concernant l’étude des autres langues étrangères telles que le chinois, le japonais ou même le français (5) ! Les professeurs des universités britanniques soulignent toujours aux visiteurs du continent qu’ils sont, eux, les seuls vrais promoteurs de l’Europe par le biais de l’anglais qui permet à tous les étudiants des pays membres bénéficiaires du programme Erasmus de communiquer entre eux et ainsi de construire les « bases sérieuses » de l’Union européenne durant leur séjour en Grande-Bretagne. Ils précisent souvent que l’anglais a donné naissance à un grand nombre de mots prétendument « internationaux » tels que « computer », « software » ou « téléphone (6) » tout en faisant remarquer avec condescendance que les Français ont voulu inventer des « équivalents artificiels » tels que « ordinateur » et « logiciel ». Ils ne tiennent pas compte du fait que, à l’extérieur de la famille des langues européennes, une très grande proportion de la population mondiale a créé des mots (7) pour désigner des objets ou des concepts de manière beaucoup plus efficace dans le cadre d’autres langues qu’aucun mot anglais non traduit ne pourra jamais le faire (8). Ils évoquent le développement et la diffusion de l’ « Inglish » aux Indes, une variété d’hindi fortement anglicisé et qui démontre, selon eux, l’intrusion de la culture mondialiste basée sur l’anglais, tandis qu’ils semblent oublier pour les besoins de la démonstration le fait que l’anglais standard n’est pas maîtrisé par plus d’une proportion allant de 2% de la population de ce pays à 4% pour les estimations les plus optimistes (9) ! D’après Sam Huntington dans son « choc des civilisations », l’usage de l’anglais aux Indes ne va pas au-delà du cercle constitué par une fine élite et cette langue ne peut pas être considérée comme lingua franca. «La dure réalité, écrit-il, est que, pour un voyageur qui descend du Cachemire jusqu’à l’extrême sud à Kanyakumari, la communication se maintient le mieux par l’usage d’une forme d’hindi»(p. 62). Il estime que la chaîne de télévision prétendument internationale CNN a un auditoire d’environ 55 millions de téléspectateurs, c’est-à-dire moins de 1 % de la population mondiale ! En dépit de ces données, les propos les plus délirants à propos de l’anglais continuent à être relayés par le réseau des agences de presse anglo-saxonnes, auxquelles souscrivent un très grand nombre de pays.

Dans son livre intitulé La langue anglaise (The English language), publié en 1985, Robert Burchfield écrivit :

Toute personne éduquée dans le monde souffre de privations si elle ne connaît pas l’anglais. Bien sûr, l’extrême pauvreté ou la famine sont reconnues comme étant les formes les plus cruelles et révoltantes de privation. Quand elle s’applique seulement à la langue, on ne la remarque pas mais, pourtant, elle n’en est pas moins significative

Dans le contexte asiatique, une telle affirmation n’a aucun sens. La croyance assez répandue que la connaissance de l’anglais apporte la prospérité n’est pas vérifiée par les faits. En Asie du sud-est, par exemple, les Philippins sont de loin ceux qui connaissent le mieux cette langue et, pourtant, 40 % de la population des Philippines vit avec moins d’un euro et demi par jour ! Les compagnies chinoises au Vietnam engagent préférentiellement des Vietnamiens connaissant le chinois. Les Vietnamiens qui veulent travailler sur les projets de grande envergure de développement logiciel pour les Japonais doivent en priorité apprendre le japonais et aussi obtenir certains certificats attestant qu’ils maîtrisent les normes et les exigences de développement japonaises pour l’écriture des logiciels. Dans leurs succursales asiatiques, les investisseurs japonais et leurs homologues chinois font la promotion de leurs langues respectives, dont la connaissance devient indispensable pour les gestionnaires locaux et le personnel de direction. Il est également intéressant de noter que les étudiants japonais inscrits en premier cycle dans les universités américaines, en science et en technologie, dont les Américains pensent qu’ils y sont pour bénéficier ainsi d’un système éducatif supérieur en qualité, sont en fait ceux qui ont échoué au concours d’entrée des universités nationales japonaises les plus prestigieuses !

Le 8 septembre 2000, La chronique de l’enseignement supérieur (Chronicle of higher education(10)) rapportait les hésitations et les doutes formulées à propos de l’usage de l’anglais instauré par les universités scandinaves dans le cadre des études supérieures, et cela en dépit du fait que les Scandinaves en ont généralement une excellente maîtrise comme langue seconde. Louis Schweitzer, l’ancien PDG de Renault, exprima des réserves similaires. En 1999, il imposa l’usage de l’anglais pour la communication entre toutes les succursales au niveau des cadres supérieurs de la compagnie. En avril 2001, il déclara à l’agence de presse AFP qu’il avait dû abolir cette directive et remarqua qu’elle avait constitué un sérieux handicap, responsable d’une baisse de productivité. La même chose se produisit chez Aventis. Lors d’un entretien avec le magazine L’Expansion (11), Jean-François Dehecq, PDG de la compagnie géante Sanofi-Aventis, déclara :

La langue de communication chez Sanofi-Aventis n’est certainement pas l’anglais. Dans une multinationale, tout le monde peut parler sa langue maternelle. Dans les réunions, nous avons besoin du meilleur que peut produire la matière grise des participants. Si nous imposons l’usage de l’anglais à tous, les natifs anglophones fonctionneront à 100% de leur potentiel. Ceux qui le parlent bien en tant que seconde langue seront à 50% de leur rendement et ce taux descendra à 10% avec les autres. Si nous voulons tous devenir des Anglo-Saxons, nous ne devrions pas être surpris que les vrais Anglo-Saxons soient les seuls gagnants…

De la même manière, la perception que les succursales des grandes multinationales européennes recrutent forcément des employés parlant anglais est fausse. Récemment, par exemple, Peugeot PSA (le troisième plus grand constructeur automobile européen derrière Daimler-Chrysler) a installé une unité de production à Trnava, en Slovaquie, qui emploiera 3500 personnes à la fin 2005 et tous les cadres ont reçu leur formation en français.

La propagande qui prétend que l’anglais est considéré comme une bénédiction pour favoriser la communication entre les peuples du monde garde sous silence le fait que, aux Indes, par exemple, l’anglais est devenu la principale cible des nationalistes qui veulent l’éradiquer totalement du pays. Il y a quelques années, M. Mulayam Singh Yadav, qui était alors ministre de la Défense, jura à Chennai (Madras) que lui et ses colistiers ne prendrait pas de repos avant que l’usage de l’anglais soit totalement éliminé du pays. Suivant cette tendance, les anciens noms anglais ont été remplacés par des équivalents indigènes (« Mumbai » pour Bombay par exemple). Le 15 mai 2000, le magazine américain  Newsweek osa publier un article remettant en question la croyance d’un engouement universel vis-à-vis de l’anglais. Cet article annonçait la décision prise par les autorités d’État du Bengale de rabaisser l’anglais au statut de langue non officielle dans le cadre de toutes les transactions gouvernementales officielles. De la même manière, le 10 avril 2003, CNN annonça la décision prise par un groupe de professeurs d’université allemands, particulièrement irrités par le déclenchement de la guerre contre l’Irak, de lancer une campagne visant à remplacer tous les mots anglais d’usage courant en Allemagne par leurs équivalents français.

La connexion entre langue et politique resurgit rapidement en période de conflit ! Aymeric Chauprade (12) écrit :

Il y a quelques années, le gouvernement irakien décida de remplacer l’anglais par le français comme langue seconde dans l’ensemble du dispositif universitaire irakien, par choix politique. J’ai vu ce que la volonté politique pouvait faire en termes de réorientation des choix linguistiques au Liban, en Irak et en Jordanie…(13)

D’après les professeurs de français irakiens et les expatriés français vivants en Irak, cette directive aurait commencé à être appliquée à partir de 2000. Quelques années plus tôt, l’Irak avait basculé à l’euro comme devise de référence pour le commerce du pétrole. De toute évidence, l’Irak de Saddam Hussein voulait se débarrasser de toute dépendance vis-à-vis du monde anglo-saxon. Alors que la décision de changer de devise de référence pour le commerce des produits pétroliers peut être aisément justifiée d’un point de vue purement économique, la volonté de se débarrasser de l’anglais comme seconde langue semble avoir été inspirée par la volonté de rendre l’élite irakienne imperméable à l’influence des pays anglophones. Comme en Afghanistan, il est clair que tous les collaborateurs autochtones des forces d’occupation s’expriment couramment en anglais. Il est toutefois difficile de dire si ces facteurs eurent une influence dans la décision américano-britannique de déclencher la guerre d’invasion de l’Irak en 2003.

Néanmoins, tout cela indique que le statut de l’anglais là où il semble solidement implanté comme lingua franca est finalement beaucoup plus précaire que ce que nous avons été amenés à penser.

En 1996, le concours de Miss Univers qui avait lieu aux Indes déclencha de violentes protestations de la part des nationalistes hindous et des organisations féministes de ce pays. Un tailleur indien s’immola par le feu et, à travers tout le pays, des milliers de manifestants furent arrêtés. En 2002, le même concours au Nigeria attira les foudres des intégristes musulmans mais la véritable raison de ce phénomène de rejet n’était pas liée aux femmes ni au féminisme. Elle était liée à la perception d’intrusion culturelle et de colonisation économique. De plus en plus, les anciennes langues coloniales telles que l’anglais et, dans une moindre mesure, le français, sont associées à l’aliénation culturelle, la marginalisation des langues locales et une occidentalisation indésirable. Encore inexistante il y a quelques années, cette prise de conscience s’accroît, plus spécialement dans les anciennes colonies anglaises d’Afrique. L’anglais est de plus en plus associé à une invasion culturelle indésirable et à l’exploitation économique entraînée par la mondialisation.

Nous devons également prendre en compte cette autre illusion qui consiste à penser que la connaissance de la langue anglaise, une fois acquise, permettra à ses locuteurs de devenir gestionnaires des grandes multinationales dans le nouvel ordre mondial ou, au moins, accéder à des postes à responsabilité dans les organisations internationales. Or, dans les faits, toute organisation internationale qui fonctionne en anglais retombe automatiquement sous la coupe d’anglophones natifs parce qu’ils sont seuls garants de la qualité de la langue de communication utilisée. Cela peut être aisément vérifié dans les sphères économique, politique et même scientifique.

L’autre croyance qui consiste à dire que les informations disponibles en anglais sont de meilleure qualité que les autres mérite d’être comparée à la réalité. À la veille de l’invasion anglo-américaine de l’Irak, en 2003, Donald Rumsfeld déclarait : « Tous les Irakiens veulent devenir américains ! » et les apprentis-conquérants de Washington répandirent l’idée que les troupes américaines seraient accueillies en libératrices par le peuple irakien qui se préparait à les couvrir de fleurs tandis qu’ils marcheraient, triomphants, dans les rues de Bagdad. De toute évidence, cette simple observation suffit à invalider l’opinion que les messages émanant du monde anglo-saxon sont plus fiables que ce que l’on reçoit d’autres sources. Ce serait en fait plutôt le contraire !

Dans le champ scientifique, la gestion des perceptions se préoccupe de la forme aussi bien que des contenus. La science anglo-saxonne est probablement la meilleure après celle de Dieu, constamment et exclusivement citée, tandis que les contributions d’autres pays sont considérées secondaires ou passées sous silence. Durant la guerre froide, les contributions scientifiques russes furent sciemment ignorées par les médias occidentaux. La fusée Soyouz, par exemple, qui fut conçue il y a plus de 40 ans, n’a jamais subi de panne quelconque au décollage et, cela, par tous les temps (14). Le réacteur expérimental Tokamak pour la fusion nucléaire fut conçu par les Russes. Les Russes furent pendant longtemps les pionniers en matière d’alliages spéciaux et de mousses métalliques. Toutes les techniques entourant la production et l’utilisation du titane sont d’origine russe. Le laser est une invention russe (15). L’achat par la firme Apple des droits d’exploitation des brevets russes (16) en reconnaissance des mots manuscrits, en 1991, ne fit pas la une des journaux. Durant de longues années, les super-ordinateurs russes demeurèrent les plus rapides (17). Boris Babayan, le père du super-ordinateur Elbrouz (plus rapide que le Cray YMP en 1992), prêta main-forte à Sun Microsystems mais la réputation de ses contributions ne dépassa pas son cercle de travail. L’école russe de mathématiques avec Kantorovitch, Khachyan, Kolmogorov, Korolev, Kourtchakov, Landau, Léontiev, Lifchitz, Markov, Pontriagin, Sakharov, Trathenbrot a laissé une trace indélébile sur cette discipline. Tout cela fut imaginé, conçu et développé ex nihilo tandis que les États-Unis durent importer des scientifiques étrangers, la plupart du temps, pour développer leur propre science…

En aviation, tandis qu’une large majorité pense que l’anglais est une lingua franca indispensable pour le contrôle aérien, le livre de Steven Cushing, Fatal words : Communication clashes and plane crashes (18) (Les mots mortels : les incompréhensions et les accidents d’avion) semble avoir été totalement passé sous silence. Dans Fatal words, Cushing explique comment de nombreux vols ont été mis en danger par l’ambiguïté de la langue anglaise (19). Il prend des exemples partout dans le monde et propose de remplacer un système de communication oral basé sur l’anglais, et aujourd’hui complètement périmé, par un système de communication visuel informatisé et fiable. Pourtant, des organisations internationales chargées d’améliorer les procédures de contrôle aérien telles qu’Eurocontrol (20) refusent de remettre en question le rôle de l’anglais dans ce cadre et ne tiennent aucun compte des nombreuses données que Cushing a accumulées et qui prouvent clairement le bien-fondé de sa position et de ses conclusions.

Réalités cachées et simple ignorance

Pour les Occidentaux, une autre perception erronée à propos de la demande en langues étrangères tient au fait que, s’ils vivent en Asie, ils ont souvent des difficultés pour distinguer entre des langues qu’ils ne comprennent pas et entre des peuples qui partagent les mêmes traits physiques. Par exemple, il est difficile pour un Occidental venant en visite dans un pays tel que le Vietnam de prendre conscience de l’importance croissante du chinois s’il ne comprend pas déjà le vietnamien. Il est également difficile pour lui quand il voyage de distinguer les Chinois des Vietnamiens et de se rendre compte que la plus grande proportion de touristes au Vietnam vient effectivement de Chine (21). Que ce soit pour l’industrie du tourisme ou pour d’autres activités, le chinois devient rapidement l’une des langues étrangères les plus utiles au Vietnam et qui correspond à une demande réelle, tangible, non hypothétique et immédiate. Dans cet environnement, l’enseignement de l’anglais qui devint obligatoire il y a une quinzaine d’années des classes élémentaires jusqu’à l’université, apparaît de plus en plus artificiel et anachronique. Après 1975, les seules langues étrangères enseignées au Vietnam étaient le russe et le chinois. Cette quasi-exclusion des autres langues fut remplacée par une autre, avec l’élimination de la plupart des langues autres que l’anglais des écoles publiques, tandis que les besoins réels en langues étrangères sont nettement plus diversifiés et qu’ils se concentrent autour des autres langues asiatiques pour lesquelles la demande croît rapidement. À Ho Chí Minh Ville (Sàigòn), une nouvelle école d’anglais se crée chaque semaine et les parents acceptent de payer des fortunes, relativement à leurs revenus, pour envoyer leurs enfants dans ces écoles bien que la plupart d’entre eux ne quitteront jamais le pays ! A ce titre, les sommes consacrées à l’apprentissage de l’anglais semblent proportionnelles au niveau d’ignorance des tendances économiques et géopolitiques lourdes qui sont à l’œuvre dans cette région du monde. Il est clair que le statut de l’anglais est, là aussi, davantage basé sur des perceptions que sur des besoins réels ! La taille des agences de presse anglo-saxonnes explique en partie pourquoi ces perceptions démesurément exagérées demeurent, puisque tout journal ou magazine souscrivant aux services de presse d’agences telles que AP ou UPI devient le relais inconscient des perceptions d’offres et de demandes dans le domaine des langues qui sont complètement décalées par rapport à la réalité. La pratique instaurée depuis fort longtemps par les divers organismes anglophones qui se chargent d’identifier et de disséminer les nouvelles de conduire tous leurs échanges avec leurs contacts locaux en anglais renforce puissamment la perception de l’importance de cette langue. Plus que dans toute autre langue, tout abonné aux nouvelles fournies directement ou indirectement par les agences de presse anglo-saxonnes adhèrent aux perceptions boursouflées qu’elles véhiculent.

Lorsque la nouvelle chaîne télévisuelle internationale chinoise CCTV-E&F (22) commença à émettre en français le 1er octobre 2004, aucune agence de presse anglophone ne rapporta la nouvelle. Le simple fait qu’une chaîne internationale non française utilise le français pour diffuser ses messages ne sembla nullement correspondre aux attentes du journaliste moyen, même dans le monde francophone, qui rendit à peine compte de cet événement.

En sciences, rien n’est laissé au hasard

Je me focaliserai maintenant sur la situation du scientifique individuel, celui qui travaille dans une université ou un laboratoire de recherche en Europe continentale. Je me limiterai à un examen de la situation française qui, j’imagine, peut sans doute être extrapolée à beaucoup d’autres pays, tout au moins sous certains aspects.

Le jeune maître de conférences qui démarre une carrière en enseignement et recherche n’a pas le choix préétabli d’une langue étrangère comme langue de publication des articles qu’il est censé produire. Il se sent naturellement le plus à l’aise dans sa propre langue. Cependant, en observant seulement l’activité de ses collègues, il découvrira très vite que publier en anglais sera susceptible de lui valoir des promotions plus rapides que s’il publiait dans sa langue. Alors que de nombreuses organisations parrainées par le gouvernement dénoncent inlassablement le déclin de la langue française dans le domaine de l’édition scientifique, personne ne veut suggérer qu’une simple ordonnance ministérielle pourrait renverser la tendance. Tous les jeunes professeurs savent que, à de très rares exceptions près, la reconnaissance internationale vient après que ceux-ci eussent été reconnus sur la scène nationale, et que cette reconnaissance nationale, dont dépend son avancement professionnel devrait avoir pour base la langue nationale qu’il a en commun avec ses évaluateurs.

Dans les faits, le passage à l’anglais comme langue de publication a été encouragé discrètement mais efficacement par le ministère de l’Éducation et de la recherche puisque les publications en anglais se sont vues attribuées un poids beaucoup plus important dans l’évaluation des enseignants-chercheurs. Aucune note ministérielle n’a jamais circulé à ce propos et aucune politique linguistique n’a jamais été formellement définie concernant les publications orales et écrites des fonctionnaires des universités et des centres de recherche financés par les contribuables. Pourtant, la volonté très forte de passage au tout-anglais a pu être reconnue après que certaines associations consacrées à la défense de la langue française et que des fonctionnaires eurent demandé au gouvernement d’émettre des directives claires concernant ce problème, dans les domaines de la recherche théorique et appliquée, pour lier la langue de publication aux promotions professionnelles de leurs auteurs (23). Quant à la loi Toubon (24), ses aspects coercitifs furent abolis par le Conseil constitutionnel avant qu’elle n’entre en vigueur, en 1994, et la plupart des tribunaux ne l’appliquent même pas.

Il est erroné de considérer que l’absence relative de directives au niveau linguistique dans les diverses structures de la Commission européenne a conduit petit à petit à des arrangements officieux pour résoudre les problèmes de communication en Europe continentale. Encore une fois, dans le domaine de la recherche scientifique, la volonté d’imposer l’anglais comme unique langue de communication est, au contraire, clairement spécifiée. Quiconque fait une demande de financement européen doit formuler sa demande en anglais, comme le précisent les directives se rapportant à ces programmes. Même si l’argent qu’ils réclament vient en fait de la poche des contribuables, les chercheurs allemands, français ou italiens devront faire la croix sur l’usage de leur langue pour avoir quelque chance de récupérer un octroi de Bruxelles ! Supposons que le professeur Martin, qui travaille à Paris, veuille faire une demande de fonds de recherche à la DG XIII de l’UE à Bruxelles. Pour que sa candidature soit recevable, il devra s’associer au moins à un autre partenaire européen d’un autre pays (le plus souvent deux de deux pays différents). Imaginons que le professeur Lafontaine, un de ses collègues qui travaille pour l’université libre de Bruxelles, fait de la recherche dans un domaine connexe et propose de devenir le partenaire belge de Martin. Bien que Lafontaine communiquera avec ses collègue français en français, l’épais dossier de demande qui sera soumis à la Commission européenne devra être exclusivement rédigé en anglais y compris les CV de tous les partenaires qui seront joints au dossier. Quiconque sera associé de près ou de loin au projet devra fournir une description détaillée en anglais de ses activités. Si l’octroi est accordé, tous les rapports ainsi que les bilans financiers et ceux des commissaires aux comptes devront également être fournis en anglais. Le même dispositif s’appliquerait à un scientifique allemand ayant trouvé un partenaire en Autriche, bien entendu. Si nous observons les choses de plus près, nous pourrons voir que Martin, qui vit à Paris, devra obligatoirement communiquer en anglais avec son agent de liaison qui travaille à Bruxelles, pour la Commission, qui s’appelle M. Dupont, qui est non seulement francophone mais aussi français en l’occurrence. M. Dupont exigera que toute communication écrite entre lui, Martin et Lafontaine se fasse en anglais, non seulement les rapports trimestriels mais aussi les télécopies et les courriels et, cela, jusqu’à la fin du projet !

Les employés de la CE ont reçu des directives strictes les enjoignant d’utiliser uniquement l’anglais avec tous les récipiendaires d’argent européen même s’ils partagent avec eux la même langue maternelle. M. Martin a été parfaitement conditionné pour répondre, si la question lui était posée, et elle l’est rarement, que cette mesure est nécessaire car des changements de personnel à la CE peuvent intervenir durant la période du projet et que tout employé peut être remplacé par un autre qui ne comprend pas forcément le français, même s’il vit à Bruxelles, ville à forte majorité francophone ! Pourtant, simultanément, la CE est censée faire la promotion du multilinguisme et exiger pour le personnel la connaissance d’un minimum de deux langues en plus de la langue maternelle ! En dépit de ces contradictions flagrantes, l’usage unique de l’anglais dans les champs scientifiques et techniques n’a jamais été sérieusement remis en question à la CE. A ce titre, la CE peut être considérée comme une machine à aliéner les citoyens européens par rapport à leur langue et à leur culture, les dépouillant de leurs droits linguistiques de base en les faisant payer pour leur propre infériorisation tout en maintenant une incroyable hypocrisie puisqu’elle ne cesse d’affirmer une imposture, celle qui consiste à s’ériger en protectrice de la diversité culturelle et linguistique du continent !

Des faits similaires peuvent être observés dans des institutions financées par les États. Au cœur de la Suisse romande, le président de l’EPFL (25), Patrick Aebischer, a imposé l’usage exclusif de l’anglais pour les cycles d’études supérieures dans l’espoir d’attirer davantage d’étudiants étrangers et de promouvoir les coopérations internationales dans le domaine de la recherche. Aebischer n’a pas pu faire accepter sa directive par la faculté de Génie civil, puisque les activités d’un ingénieur en génie civil ou d’un chercheur dans cette discipline impliquent toujours une communication dense avec les travailleurs locaux. Ailleurs, Aebischer a créé un nouveau problème pour les étudiants étrangers inscrits au DEA et au doctorat et dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, donc plus spécialement avec ceux pour lesquels le passage à l’anglais était censé faciliter la communication. Ces derniers, en effet, se trouvent dans l’impossibilité d’atteindre un niveau courant que ce soit en anglais ou en français et pour ceux qui demeurent longtemps à Lausanne, la directive d’Aebischer renforce leur isolement en retardant considérablement leur intégration dans la société suisse. Parallèlement, l’EPFL est membre à part entière de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), dont la raison d’être est la promotion du français dans les activités scientifique et dans la recherche !

Tandis que la CE affiche une politique officielle de multilinguisme et de multiculturalisme, n’importe qui peut facilement remarquer que les versions en anglais des textes officiels émanant de la CE sont, la plupart du temps, rendus disponible bien avant les versions dans les autres langues officielles de l’union, même s’il s’agit des grandes langues telles que l’allemand ou le français. Des fonctionnaires de la CE, tels qu’Anna-Maria Campogrande (26), remarque que le démantèlement insidieux des services linguistiques entrepris par Neil Kinnock, ancien vice-président de la Commission, continue actuellement sous la houlette de Ján Figel, commissaire à la culture et au plurilinguisme, par la sous-traitance de plus en plus systématique des services de traduction dans l’objectif de les transférer au British Council qui, à terme, sera l’un des principaux bénéficiaires des fonds européens pour soutenir le multilinguisme ! En utilisant constamment le justificatif de réduire les coûts, le marché des pigistes a également commencé à recevoir une proportion non négligeable du travail de traduction. Alors que ces pratiques tendent à favoriser les privilèges et la corruption, elles aboutiront aussi inévitablement à une baisse de la qualité des traductions, rendant ainsi à terme les traductions plus ou moins inutiles. Le recours à la solution d’une langue unique, c’est-à-dire de l’emploi exclusif de l’anglais trouvera alors sa pleine justification. L’évolution vers une administration européenne qui n’utilisera plus que l’anglais dans toutes ses tâches officielles est parfaitement préparée et anticipée.

Perceptions et besoins artificiels

La tendance vers l’usage de l’anglais comme langue unique de publication scientifique, tout au moins dans le monde occidental, engendre une surestimation du niveau moyen de connaissance en anglais comme langue seconde en Europe continentale et ailleurs également. On ne se rend généralement pas compte que chaque publication en anglais est le résultat d’un travail pénible de rédaction au-delà des tâches purement scientifiques de compilation et d’interprétation des résultats scientifiques. On a tendance à oublier que chaque article a dû être relu et faire l’objet de corrections attentives par un petit nombre d’enseignants-chercheurs qui maîtrisent bien cette langue, dans les départements qui les produisent. Lorsque je travaillais pour l’UTBM (27), j’étais quasiment le seul scientifique, au sein d’un département composé de 24 enseignants-chercheurs, disposant non seulement du bagage scientifico-technique nécessaire mais aussi d’une connaissance suffisante de l’anglais pour me permettre d’effectuer un travail de correction efficace des articles écrits par mes collègues et je fus d’ailleurs très sollicité pour faire ce type de travail. Lorsque je travaillais au Japon, au début des années 90, j’avais été également sollicité par le département de recherche du ministère de la Construction pour corriger un bulletin d’information rédigé en anglais publié trimestriellement pour résumer le travail et les principaux résultats de l’équipe en place. Cependant, ce bulletin n’était pas distribué à l’extérieur mais seulement au Japon et il n’était pas considéré par le ministère comme un instrument de promotion de ses activités à l’étranger. Le rôle de ce bulletin trimestriel était simplement de représenter un exercice d’anglais pour ses rédacteurs et ses lecteurs. Il est déjà difficile pour un Occidental d’imaginer le nombre d’heures de travail que cela demandait aux ingénieurs et chercheurs concernés par la rédaction des divers articles et annonces, mais encore plus difficile d’imaginer les difficultés du correcteur pour comprendre le sens des textes ainsi produits. Quiconque n’a jamais vécu au Japon ne pourra pas comprendre qu’un maigre bulletin d’une quinzaine de pages demandait au correcteur des heures d’entretien (28) avec les auteurs des articles pour comprendre leur signification et donc les re-rédiger dans un anglais intelligible pour ses lecteurs. La structure du japonais, sa syntaxe et sa grammaire n’ont aucune relation avec ce que l’on trouve dans les langues européennes ce qui fait que l’anglais est une langue extrêmement difficile à maîtriser pour les Japonais. Bien que les cours d’anglais soient obligatoires dans toutes les écoles japonaises, le niveau courant est rarement atteint et, comparativement aux efforts déployés pour apprendre cette langue, les résultats sont incroyablement médiocres. De toute évidence, dans leur forme définitive, les articles que j’avais corrigés ne donnaient pas une représentation fidèle du niveau d’anglais de leurs signataires. Ils représentaient encore moins les compétences moyennes en anglais du reste de la population japonaise.

La croyance que des non-natifs peuvent exploiter l’anglais à leur profit au même titre que les natifs anglophones est une pure illusion. Toute organisation qui fonctionne en anglais mais qui emploie des personnes pour lesquelles l’anglais n’est pas langue maternelle est dans l’impossibilité de délivrer les mêmes bénéfices et la même qualité de service qu’une autre organisation similaire mais pilotée par des natifs anglophones, tous autres facteurs restant identiques. C’est particulièrement le cas pour les universités prétendument « internationales » ou pour les instituts installés dans des pays non anglophones et qui emploient du personnel n’ayant pas l’anglais comme langue maternelle pour servir les besoins d’une clientèle du même type. L’Asian Institute of Technology (AIT) de Bangkok (29) appartient exactement à cette catégorie. L’AIT est actuellement financé par un consortium de pays non anglophones et il accueille un peu moins de 2000 étudiants, tous au niveau des études supérieures (DEA et doctorat), parmi lesquels on ne trouve pratiquement aucun natif anglophone. L’AIT emploie environ 200 professeurs de 29 pays différents mais seulement 10% d’entre eux sont des anglophones natifs. L’AIT clame haut et fort l’excellence de ses programmes. Cependant, quiconque visite l’AIT et prend la peine d’assister à quelques cours remarque immédiatement que la langue utilisée à l’intérieur de l’AIT ressemble davantage à un patois qu’à une langue adaptée aux besoins d’une université, avec peu d’exceptions. La triste vérité est que l’AIT officialise des habitudes en communication qui font apparaître ses étudiants et une grande majorité de ses professeurs comme étant mentalement retardés lorsqu’ils font une présentation en anglais à un auditoire de professionnels anglo-saxons. Il est difficile pour quiconque d’être considéré comme un professionnel lorsqu’on utilise un langage qui ne partage pas les caractéristiques du discours professionnel ! Il est difficile d’être considéré comme un expert si l’on n’a pas le discours d’un expert et une complète aisance dans le véhicule linguistique utilisé est une condition absolument nécessaire mais, bien sûr, insuffisante. Même bardé de diplômes, le jeune docteur d’un institut qui semble avoir bonne réputation, a priori, ne peut évider d’être déconsidéré par rapport à ses collègues qui auront terminé leurs études en Angleterre, en Australie ou aux États-Unis, lors d’un entretien. Le désir de mobilité professionnelle est l’une des réponses aux défis de la mondialisation telle qu’elle est perçue. A ce titre, l’AIT n’est pas en mesure d’offrir la mobilité que ses étudiants y sont venus chercher, par le biais d’un enseignement en anglais, mais juste une apparence qui ne résiste pas au test en milieu authentiquement anglophone…

Dans certaines universités hollandaises ou scandinaves qui ont imposé l’usage de l’anglais dans les cycles d’études supérieures, et plus spécialement en science et en technologie, les étudiants autochtones se sentent très vite lassés par les cours en anglais. En dépit du fait que les étudiants ont un excellent niveau d’expression et de compréhension dans cette langue, leurs professeurs sont automatiquement bridés par le fait qu’ils ne peuvent dire que ce qu’ils peuvent et non pas ce qu’ils veulent et, par là même, introduisent une barrière totalement artificielle entre les étudiants et les connaissances qu’ils sont censés acquérir. Les restrictions à une flexibilité totale de l’expression obligent les professeurs à simplifier leur logique, dégradent leurs présentations, les forcent à atteindre des conclusions prématurées qui sont souvent dépourvues de nuances. Les matières à étudier sont plus difficiles à appréhender et les cours sont moins attrayants. Cette tendance lourde qui consiste de plus en plus à recourir à l’anglais pour enseigner des cours scientifiques et techniques dans les pays du nord de l’Europe semble accélérer la désaffection des étudiants par rapport aux disciplines scientifiques et aux métiers de l’ingénieur et, à terme, contribue au déclin de la production de nouvelles connaissances par les chercheurs dans ces domaines. A terme donc, une mesure qui était censée corriger la diminution des inscriptions en science et en technologie ne fait, en définitive, que l’accélérer, et accentue le déclin général de la productivité scientifique européenne. Des études complémentaires seraient nécessaires pour déterminer si les étudiants internationaux qui s’inscrivent dans ces universités sont en mesure de compenser la baisse des inscriptions d’étudiants autochtones, mais il ne faut pas être grand clerc pour deviner que les meilleurs étudiants étrangers qui font le choix délibéré – et non imposé – de l’anglais pour continuer en études supérieures, enverront en priorité leurs demandes d’inscription dans les pays anglo-saxons et que les universités scandinaves ou hollandaises ne constitueront qu’un pis-aller avec tout ce que cela implique…

Globalement, le déséquilibre entre les perceptions et les besoins réels en langues étrangères n’a jamais atteint de telles proportions. La langue allemande est de loin la langue qui, en Europe, a le plus de locuteurs. Pourtant c’est devenu l’une de celles qui sont les moins enseignées en Europe en tant que langue seconde. De la même manière, on estime que le français est parlé trois fois plus, par des non natifs, qu’il ne leur est enseigné. Quant à l’anglais, il est enseigné au moins dix fois plus qu’il n’est utilisé et le même type de déséquilibre entre l’anglais et les langues asiatiques semble affecter plusieurs pays asiatiques également.

L’anglais est une taxe sur la recherche scientifique

René-Marcel Sauvé (30) a parfaitement expliqué comment un monopole linguistique constitue l’équivalent d’une taxe sur la recherche scientifique en rendant beaucoup plus facile le transfert illicite ou le plagiat de découvertes scientifiques par les membres des comités de lecture des articles soumis à publication, lorsque ces articles sont écrits dans leur propre langue par des scientifiques extérieurs à leur communauté. À ce titre, les meilleurs scientifiques russes et chinois sont beaucoup moins avides de « reconnaissance internationale » pour chercher à publier immédiatement leurs articles dans des revues de langue anglaise. Par exemple, le gène responsable de la sclérose en plaques fut découvert par Lap Tchi Tsoi, un chercheur de Hong Kong. Peu après la diffusion en anglais de cette découverte, un chercheur américain et son partenaire anglais manœuvrèrent pour se l’approprier mais Lap Tchi Tsoi avait pris ses précautions, en publiant initialement sa trouvaille en chinois et il n’eut aucun problème pour prouver l’antériorité de sa propre découverte. Lorsque les Russes commencèrent à produire les turbines Sukhoi pour propulser leurs avions, sa conception avait déjà été protégée par brevet. Les avions Gulfstream, produits aux États-Unis, sont équipées de Sukhoi authentiques et non pas de copies illicites. Si l’institut Pasteur réussit, au tribunal, à prouver l’antériorité de sa découverte, en 1983, du virus du sida au détriment de l’équipe de Robert Gallo, Dominique Stehelin n’eut pas autant de chance lorsque, en 1989, Michael Bishop et Harold Warmus reçurent le prix Nobel pour le travail qu’il avait effectué sur les rétrovirus prouvant qu’ils sont oncogènes. Alexandre Grothendieck (31), un mathématicien qui reçut la médaille Fields (en 1966), déclina de recevoir le prix Crafoord, en 1988. Dans sa lettre à l’Académie royale des sciences suédoise, il dénonça vigoureusement le pillage des résultats de la recherche faite par ceux qui ont le moins les possibilités de se défendre. Le désir d’être publié dans ce qu’ils pensent être des revues scientifiques réputées fait que, souvent, les chercheurs oublient de prendre quelques précautions élémentaires pour éviter que leurs découvertes soient volées. Comment l’obscur petit chercheur, qui vient d’avoir une brillante idée, pourra-t-il prouver que Joe Blogg, un professeur d’une grande université étasunienne a volé son idée et sa découverte lorsqu’il a envoyé à ce même professeur le texte de l’article relatant cette découverte, pour qu’il en approuve la publication, après que Joe Blogg – anonyme au moment de l’évaluation de l’article – lui eut signifié que son article n’avait aucune valeur et qu’il ne serait pas publié ?

Le pillage décrit plus haut n’est pas la faute de la langue anglaise. Le problème est de publier dans la langue des pays qui ont acquis, pour des raisons diverses, un quasi-monopole dans le domaine de la science. Publier en anglais ne peut que renforcer ce monopole et pas seulement par le biais de la fraude et du pillage scientifique. En effet, l’usage de l’anglais crée automatiquement les conditions d’existence d’un environnement dans lequel les découvertes scientifiques majeures deviennent de manière presque automatique, associées à la science anglo-saxonne, que ce soit vraiment justifié ou pas. Par exemple, Jean Morlet, un scientifique français qui découvrit la transformée en ondelettes, publia ses trouvailles aux États-Unis et, plus tard, s’associa à Alex Grossmann, un mathématicien français avec lequel il obtint un brevet basé sur son travail de recherche préliminaire. Une des applications du travail de Morlet fut de rendre possible la construction d’algorithmes de compression d’images très efficaces, dont la norme JPEG découle, et qui réduisirent considérablement les tailles mémoire nécessaires pour stocker les images numériques, ce qui permet de mettre à disposition de tout le monde la vidéo numérique à un faible coût, professionnels et amateurs confondus. Au-delà des techniques liées à l’image, il existe un très grand nombre d’autres applications. Il est intéressant de noter que le nom de Morlet apparaît de plus en plus écrit « Morley » dans la littérature scientifique et le changement d’orthographe n’est pas nécessairement mal intentionné. Pourtant, en association avec Grossmann, la «découverte de Morley» est devenue une autre contribution scientifique américaine, et cela d’autant plus que toutes les publications essentielles de Morlet ont été faites en anglais, ce qui contribue à masquer son identité véritable.

De manière équivalente, le travail de Louis Pouzin dans le projet CYCLADES (32), en 1972, inspira Vinton Cerf et Bob Kahn, qui sont considérés comme les pères fondateurs d’Internet. Pourtant, ces derniers ne masquèrent jamais le fait qu’il dupliquèrent, dans leur construction, le concept de « datagramme » inventé par Pouzin, mais le nom de Pouzin reste complètement inconnu de la plupart des spécialistes en télécommunication et encore moins des utilisateurs et ne court pas le risque d’être mal orthographié ! Encore une fois, le recours à l’anglais pour décrire des résultats de recherche, des découvertes et des inventions, tend à faire oublier l’identité réelle de leurs auteurs puisqu’ils ne sont pas physiquement présents dans l’environnement socio-linguistique dans lequel ils deviendraient naturellement visibles. Pouzin, Grossmann et Morlet ne sont pas connus des informaticiens et ingénieurs télécoms français alors qu’ils sont tous les trois français. Dans le monde anglophone, leur présence est virtuelle, associée à la communauté des chercheurs anglo-saxons mais ils sont physiquement en dehors de cette communauté et ne peuvent recueillir totalement les bénéfices de leurs découvertes.

La fierté nationale a-t-elle une place dans le monde de la science, qui ne connaît aucune frontière ? Est-il encore utile de se souvenir de la nationalité d’un chercheur ? Pourtant, comment un pays pourrait-il espérer susciter dans une partie de sa jeunesse des vocations scientifiques alors que les jeunes ne peuvent même plus prendre connaissance de la nature du travail scientifique qui est fait de l’autre côté de la rue dans leur langue ? Lorsque c’est ainsi, la science devient inutilement ésotérique et inabordable par ceux qui seraient susceptibles de s’y intéresser. La vocation d’une carrière scientifique ne se développe pas dans le vide. S’informer en sciences ne doit pas faire appel à des qualités autres que celles qu’il faut pour comprendre la science, mais cela est un problème relativement mineur. Publier en anglais signifie que l’on accepte les critères fixés par les Anglo-Saxons pour la présentation et l’évaluation des résultats. Publier en anglais signifie que l’on accepte implicitement le système de citations et que l’on essaye de maximiser les facteurs d’impact mais, dans ce processus, les scientifiques de la zone périphérique (à l’extérieur des pays anglo-saxons) doivent aligner leurs objectifs de recherche avec les sujets à la mode, dans des domaines connexes de ceux sur lesquels leurs évaluateurs travaillent. Le travail de ces chercheurs apparaît donc de plus en plus dans le sillage des travaux des véritables innovateurs, qui sont eux, au centre du système et qui choisissent les sujets et déterminent les tendances. En conséquence, les scientifiques des zones périphériques se mettent à suivre ce qui se passe au centre et n’innovent plus. L’avancement professionnel va à ceux qui sont donc les plus conformistes. Le travail des scientifiques de la zone périphérique ajoute de moins en moins de valeur à la recherche faite par le centre et les plus compétents commencent à se détourner de la recherche scientifique. C’est exactement ce qui se passe actuellement en France avec la recherche universitaire, totalement alignée sur la science anglo-saxonne et, dans une moindre mesure, celle qui se fait au CNRS et dans les autres grands laboratoires financés par l’État. La créativité réelle est en rupture des traditions, s’oppose au conformisme et ne peut pas se mouler dans des contraintes artificielles sans perdre l’essentiel de sa force. Il ne fait aucun doute que le déclin en qualité de la recherche universitaire en Europe continentale est lié au remplacement progressif de talents exceptionnels par une nouvelle génération de conformistes, dont l’émergence est liée à la nécessité de publier en anglais et d’accepter des règles définies au sein d’une autre socio-culture scientifique qui a l’effet d’une camisole de force sur le plan intellectuel.

Créativité et culture

Laurent Lafforgue, un mathématicien français qui reçut la médaille Fields en 2002, explique que les scientifiques pensent que les mathématiques françaises continuent à être publiées en français à cause de l’exceptionnelle vigueur et de la qualité de l’école française de mathématiques. Il pense que la relation de cause à effet est en fait exactement inverse (33). Pour lui, c’est parce que l’école française de mathématiques continue à publier en français qu’elle conserve son originalité et sa force. Cette relation ne peut pas être expliquée par la science mais par les conditions psychologiques, morales et spirituelles qui rendent la créativité scientifique possible. Il écrit :

Sur le plan psychologique, faire le choix du français signifie pour l’école française qu’elle ne se considère pas comme une quantité inéluctablement négligeable, qu’elle a la claire conscience de pouvoir faire autre chose que jouer les suiveuses et qu’elle ne se pose pas a priori en position vassale. Bref, ce choix est le signe d’une attitude combative, le contraire de l’esprit d’abandon et de renoncement… Bien sûr, un esprit combatif ne garantit pas le succès, mais il est nécessaire. Comme dit le proverbe chinois, les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on ne livre pas.

Sur le plan  moral, c’est-à-dire sur le plan des valeurs qui est plus important encore, le choix du français ou, plutôt, l’attitude détachée vis-à-vis de la langue actuellement dominante dans le monde, signifie qu’on accorde plus d’importance à la recherche en elle-même qu’à sa communication. En d’autres termes, on écrit pour soi-même et pour la vérité avant d’écrire pour être lu — l’amour de la vérité passe avant la vanité. Il ne s’agit pas de renoncer à communiquer avec les autres : la science est une aventure collective qui se poursuit de siècle en siècle, et même le plus solitaire des chercheurs dépend complètement de tout ce qu’il a appris et continue à recevoir chaque jour. Mais refuser d’accorder trop d’importance à la communication immédiate, c’est se souvenir du sens de la recherche scientifique.

Le plan culturel et spirituel est le plus difficile à saisir, le plus hasardeux. Pourtant, il est peut-être le plus important de tous, celui où il y a le plus à perdre mais aussi à gagner. La créativité scientifique est enracinée dans la culture, dans toutes ses dimensions, linguistique et littéraire, philosophique, religieuse même. Werner Heisenberg, fils d’un professeur de grec et l’un des fondateurs de la mécanique quantique, en a témoigné dans ses écrits autobiographiques, où il insiste constamment sur  l’importance de la culture générale, du rôle qu’ont joué dans sa vie de physicien ses lectures philosophiques, en particulier Platon, qu’il lisait en grec. Alors, gardons la diversité linguistique et culturelle dont se nourrit la science.

Tout maître de conférences dans le système d’enseignement supérieur français (et il est loisible de penser que c’est le même cas ailleurs) sait qu’en adoptant le système anglo-saxon de « publish or perish » (publier ou périr), il contribue davantage à la pollution de la littérature scientifique qu’à son enrichissement. De plus, l’obligation de communiquer immédiatement à l’auditoire le plus large possible chaque élément d’une tâche de recherche est utilisée pour justifier l’usage d’une langue unique puisqu’on suppose que tout scientifique, dans n’importe quel domaine de spécialisation, du Kamchatka à Tombouctou, de Hanoï à Mourmansk et de la Terre de feu à l’Alaska, prendra immédiatement les bibliothèques universitaires d’assaut pour avoir le privilège de s’en informer en anglais. Lafforgue pense que cette croyance bloque le développement de la créativité endogène, qui renforce l’hégémonie scientifique exogène et qui transforme petit à petit les ressources scientifiques européennes en sous-traitants de la recherche américaine. Lafforgue dénonce ce prétendu bénéfice de la mondialisation, la dilution du sentiment national et la mobilité qu’elle engendre :

Dans notre monde industriel, nous pouvons penser que la science aussi est devenue industrielle et que nous autres scientifiques ne sommes plus que des techniciens interchangeables… Si nous pensons cela, le destin de la science française est clair : elle tendra de plus en plus à ne représenter dans la science mondiale que ce qu’autorise le poids démographique de la France, c’est-à-dire… un pour cent ! Or ce point de vue est faux ou, plutôt, il ne vaut que pour ceux qui y croient. Depuis toujours, la créativité intellectuelle a été le fait d’une proportion infime de la population dans quelques lieux privilégiés. On ne peut contraindre l’esprit à souffler à nouveau sur notre pays, aussi brillant qu’ait été le passé de celui-ci ; mais une condition nécessaire est de faire résolument le choix de la singularité, de l’approfondissement de notre culture, qui s’est tant distinguée au cours des siècles et dont le cœur est la langue française. Ainsi seulement garderons-nous une chance de rester ou redevenir originaux, de contribuer à la connaissance, et de se maintenir au service de l’universalité.

En recherche fondamentale, celle qui mène à la découverte des principes physiques universels, l’importance des découvertes n’a jamais été liée à la taille des équipes de recherche, ni aux budgets, ni à la communication instantanée entre des scientifiques de divers pays, ni à la taille de ces pays ou à leur importance géopolitique. L’Athènes de Périclès, avec ses 40 000 citoyens, a contribué davantage au progrès scientifiques que d’immenses pays. Aux 16e, 17e et 18e siècles, une poignée de Tosacns, de Français, d’Allemands et d’Anglais, ont fait des découvertes d’une portée considérable. Au 19e et au début du 20e siècles, les connaissances scientifiques ont progressé avec des budgets ridiculement bas et des communications souvent difficiles.

En 1933, l’Allemagne nazi se retira du reste du monde. Les scientifiques allemands ne se rendirent plus aux congrès scientifiques internationaux et la liberté de déplacement à l’étranger fut restreinte sévèrement pour tous les citoyens allemands. Pourtant, au cours des petites douze années qui suivirent, les progrès scientifiques et techniques de l’Allemagne furent fantastiques. Le programme des V2 sous la direction de Werner Von Braun est bien connu mais les Allemands inventèrent aussi le radioguidage, des dispositifs de détection infrarouge ainsi que d’autres basés sur le radar, la chimie des anneaux à 8 atomes de carbone, etc.

Le même phénomène survint dans la France occupée en dépit du fait qu’il ne fut bien évidemment pas suivi d’applications militaires. Les revues scientifiques allemandes, si importantes en physique et en chimie à l’époque, n’arrivaient plus qu’au compte-gouttes. Les revues de langue anglaise avaient disparu. La communication interne entre scientifiques et chercheurs français, dans un pays coupé en deux, était devenue difficile. Pourtant, durant cette période, Jacques Monod soutient une thèse qui sera couronnée du Nobel en 1965. Celle de Laurent Schwartz, qui parut à la même époque, allait, sept ans plus tard, valoir la médaille Fields à son auteur. Le biologiste Bernard Halpern, synthétisa le premier anti-histaminique, l’Antergan. Louis Néel, qui obtint le prix Nobel en 1970, et son groupe de recherche, obtint 40 brevets essentiels et publia plusieurs articles incontournables en physique fondamentale. Antoine Lacassagne, de l’Institut du radium, publia 31 articles décrivant des thérapies anti-cancéreuses tandis que ses collègues en produisirent une centaine tout aussi essentiels, durant la même période. Terriblement handicapée dans ses moyens, incapable de communiquer avec quiconque, la recherche scientifique française de cette période sombre de l’histoire nationale n’en obtint pas moins de brillants résultats. Aujourd’hui, cette recherche suit les tendances et, en dépit de budgets adéquats (34), elle a fait fuir les esprits les plus brillants. Les jeunes chercheurs sont tenus de travailler dans une unité de recherche travaillant sur un sujet « accrédité ». Ceux qui veulent créer leur propre programme de recherche sont considérés comme des électrons libres et encourent des difficultés professionnelles. S’ils ne sont pas protégés par la titularisation, ils courent le risque de perdre leur poste pour «incompétence professionnelle».

Un examen attentif prouve qu’il n’existe aucune base sérieuse pour qu’un chercheur ou qu’une équipe de chercheurs doive communiquer instantanément ses résultats de recherche à une autre dans une seule langue scientifique. Dans les faits, on constate que cette tendance a pour origine le fait que des chercheurs contemporains, dont les résultats sont souvent insignifiants, essayent de valoriser leur recherche auprès de leur employeur en faisant partager la responsabilité de leurs résultats avec d’autres équipes. Par ce biais, les chercheurs ouvrent ainsi leurs « parapluies » au même titre que des administrateurs incompétents, qui insistent souvent pour que les décisions importantes soient prises ou entérinées par des comités pour se décharger de leur responsabilité ou la diluer auprès de leur direction.

Au cours de l’histoire, il n’y a jamais eu de création véritable qui ne soit profondément enracinée dans une culture, une langue, un territoire et une identité… Si le nouvel Airbus A–380 est le résultat du travail collaboratif de plusieurs nations, il n’est certainement pas une invention et encore moins une découverte. Il est simplement le résultat d’une excellente coordination d’activités et d’un ordonnancement optimal d’une série d’opérations techniques de fabrication et d’assemblage. Le programme spatial européen est de même nature ainsi que le CERN de Genève et le réacteur ITER pour la fusion thermonucléaire expérimentale qui sera construit à Cadarache dans un avenir proche.

Inégalités linguistiques et conditionnement social

François Grin, de l’université de Genève (35), estime qu’une égalité totale avec un locuteur d’anglais natif pour atteindre son niveau de compréhension et d’élocution dans un débat ou au cours d’une négociation demanderait à un non natif un investissement d’environ 12 000 heures de cours et d’exercices en anglais. Pour quelqu’un prenant 4 heures de cours par semaines, 10 mois dans l’année, il ne faudrait pas moins de 75 ans ! La décision de faire de l’anglais la lingua franca de l’Europe est probablement la solution la plus injuste et la plus dispendieuse pour les locuteurs natifs d’autres langues qui se mettent  ainsi constamment dans des situations d’insécurité linguistique, au risque de paraître incompétents faute d’un niveau d’expression insuffisamment fluide et adapté, et au ridicule déclenché par les erreurs involontaires parsemant leurs discours, qu’ils en soient conscients ou non. En abandonnant leurs droits d’usage de leur langue maternelle, les citoyens de l’Europe continentale préparent la marginalisation de leurs représentants à la commission européenne. Ils disqualifient leurs fonctionnaires pour occuper des postes clés dans les organismes européens de pilotage et de réglementation et ils se préparent inconsciemment à devenir des citoyens de seconde classe au sein d’une Europe unifiée.

L’existence d’une attitude aussi suicidaire ne peut s’expliquer aisément chez des gens qui pensent, au contraire, avoir fait les bons choix linguistiques en toute connaissance de cause. Elle trouve son origine dans un conditionnement social intense et constant. Bandura (36) a élaboré la théorie de ce conditionnement et a bien décrit ses éléments, sa structure et la manière dont il est administré. Bandura insiste sur l’importance de l’observation et de la modélisation des comportements, des attitudes et des réactions émotionnelles. Il confirme que l’apprentissage social serait extrêmement long et difficile si les gens devaient déterminer ce qu’ils doivent faire à partir des réactions qu’ils observent suite à leurs propres actions. En fait, le comportement humain est acquis la plupart du temps par l’observation du comportement des autres à travers sa modélisation. A partir de l’observable, un modèle empirique est élaboré qui sert tout simplement de guide pour fixer les comportements individuels. Il suffit donc de placer les modèles de comportement souhaités à la vue du public en monopolisant les moyens de communication et de s’assurer qu’ils n’introduiront aucune contradiction fondamentale avec le reste de ce que l’on cherche à inculquer aux masses. L’exemple le plus facile à trouver de ce conditionnement est bien évidemment celui des publicités qui nous suggèreront que la consommation de tel ou tel produit nous permettra de gagner l’admiration de notre entourage, en nous faisant croire que nous rentrerons dans une catégorie sociale qui suscitera l’envie ou même la jalousie des autres. L’acceptance que l’anglais est la nouvelle lingua franca est assurée de la même manière par le fait qu’elle semble être devenue une norme socio-culturelle à ne plus remettre en question. Les qualités de cette langue, les vertus de son choix et la prétendue utilité qu’elle représente sont constamment renforcées par les médias de masse. Derrière les nouvelles, ses contenus, son formatage, derrière les entretiens, les dépêches, les films, les livres dont on fait la publicité tapageuse, la prétendue importance devient une évidence, voire un dogme, dont la remise en question attire les pires ennuis. Cette croyance est confirmée par le système éducatif qui ne prend plus le risque, comme autrefois, d’inculquer un véritable esprit critique et qui participe, désormais, au renforcement du conditionnement social assuré par les médias. La soumission à l’anglais nous est présentée comme une force, un atout, comme une obligation ou même une norme pour les gens qui sont censés être éduqués et cosmopolites. Cette propagande continue à une échelle gigantesque, relayée par des autorités gouvernementales et un secteur privé totalement inféodé aux intérêts anglo-américains. Annie Lacroix-Riz (37) a bien expliqué comment, en finançant certains groupes de presse, certains journalistes et en finançant la publicité des écrits de certains intellectuels à sa solde, Washington, par le biais de fondations écrans ou d’ONG, a acheté son influence dans les milieux politiques et financiers. En braquant le projecteur là où ils le voulaient, en favorisant la visibilité de certains journalistes et d’écrivains médiocres mais à leur solde, les intérêts anglo-américains ont gagné la plupart des créneaux qu’ils avaient convoités et atteint des résultats remarquables. Ils ont consolidé une tête de pont durable à travers une dépendance vis-à-vis de la langue anglaise qui a pris ainsi, en grande partie, le relais comme poste primordial d’influence puisque l’apprentissage de cette langue et la volonté de se maintenir « au niveau » crée un formidable appel d’air en matériau de propagande et d’endoctrinement à ces mêmes intérêts ! La mondialisation elle-même n’est que l’ixième répétition d’un vaste mouvement d’intégration sous l’égide de la puissance du moment, comme cela a été le cas de Rome jusqu’aux États-Unis, en passant par tous les grands empires du passé…

Cependant, les plans américains pour développer en amont les mécanismes visant à leur apporter la suprématie dans le domaine de l’information et de la gestion des perceptions des masses ne sont un secret pour personne puisque quiconque peut les découvrir facilement en effectuant un minimum de recherche. Le rapport du PITAC38, par exemple, précise les objectifs à atteindre dans ce sens et les moyens pour les atteindre. Le PITAC court-circuite l’administration fédérale, est doté de budgets considérables et n’est responsable que vis-à-vis du président américain. Lorsqu’on prend conscience du fait que le courrier électronique des ambassades des pays alliés suit souvent un parcours qui comprend des relais constitués par des ordinateurs se situant physiquement aux États-Unis, il est difficile de ne pas imaginer que les dirigeants des principales nations occidentales ne sont pas de connivence avec les autorités américaines et surtout avec leurs agences de renseignement. Le PITAC essaye de favoriser la déréglementation des marchés de l’éducation à l’échelle mondiale de façon à resserrer l’emprise étasunienne sur les esprits et la modélisation des comportements individuels. La mise en accès libre des cours en ligne de quelques grandes universités étasuniennes parmi les plus réputées va également dans la même direction dans la mesure où elle crée une dépendance vis-à-vis des supports éducatifs créés aux États-Unis. De la même manière, la piraterie à grande échelle des logiciels en Asie39 entretient une dépendance vis-à-vis de Microsoft que cette organisation voit plutôt d’un bon œil en dépit des déclarations officielles. De plus en plus de pays commencent à se rendre compte que cette piraterie qui leur profite à court terme obère leur développement à long terme en rendant inutile toute création autochtone dans le domaine logiciel et en les maintenant dans un état de dépendance et d’infériorité durable vis-à-vis du monde occidental. L’intérêt croissant vis-à-vis du système d’exploitation LINUX et des logiciels libres est la conséquence directe de la prise de conscience de ce fait.

Empiètement unidirectionnel sur les cultures locales

Gustave Le Bon (40) écrivait dans ses livres : « Ce n’est pas le monde réel qui produit l’information mais l’information qui crée ce qui est interprété comme étant le réel. » Dès 1920, en suivant ce précepte, l’industrie américaine du cinéma avait pressenti le potentiel d’influence des techniques audio-visuelles pour préparer et installer une influence américaine durable à l’étranger. Le plan était de rendre populaire le mode de vie américain à l’étranger. Le mode de pensée américain suivrait et cela préparerait le terrain pour faire accepter une hégémonie américaine future. Avant que leurs films ne soient doublés, les producteurs américains devaient les retourner dans une large gamme de langues européennes avec des acteurs étrangers de façon à pouvoir les exporter. Cependant, il s’agissait là d’une solution terriblement onéreuse. Claude Autant-Lara (41) fut l’un des premiers producteurs étrangers a être engagé par la MGM à la fin des années 20 pour retourner en français les films américains. Quelques années après son engagement, la MGM lui demanda d’appliquer et de développer la nouvelle technique du doublage (42) qui venait d’être inventée par l’Allemand Jakob Lukas. Le résultat (43) fut un succès total. A partir de ce moment là, Clark Gable put faire croire à un Allemand qu’il était allemand, à un Espagnol qu’il était espagnol et à un Français qu’il était français. La MGM offrit à Autant-Lara le poste de directeur du département de doublage en français et on tripla son salaire. La technique du doublage fut cependant toujours utilisée par les Américains pour exporter les films américains, jamais pour importer des films étrangers. Encore aujourd’hui, l’importation de films doublés aux États-Unis demeure strictement interdite quelle que soit leur provenance. Tous les films étrangers, qui ne proviennent pas de pays anglophones, sont sous-titrés en anglais. Cela n’est bien évidemment pas une question de goût et les objectifs sont totalement clairs. Le doublage sert à faire digérer par un auditoire étranger un substitut dont le but est d’empiéter sur les cultures locales et, à terme, de les remplacer par saturation. En complète opposition avec cette directive, les producteurs de films étrangers sont soumis à l’obligation d’importer aux États-Unis seulement des films sous-titrés. Cela permet de maintenir, encore aujourd’hui, les Étasuniens en isolation culturelle presque totale par rapport au reste du monde.

Le problème était considéré comme si important que, dans le cas de la France, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis annulèrent la dette française en échange de l’instauration d’un quota minimum d’importation de films américains. Ce fut l’objet des accords Blum-Byrnes signés en 1946. Aujourd’hui, la proportion de films américains sur les écrans français ne tombe jamais au-dessous de 60% alors que la totalité des films étrangers importés non doublés ne représente même pas 4% des longs métrages qui passent sur les écrans américains. Le but n’est pas l’enrichissement culturel réciproque. De la même manière, on commettrait une erreur stratégique si l’on pensait qu’il s’agit seulement pour les Américains de gagner des parts de marchés. La langue fait partie de l’arsenal stratégique de puissance qui est utilisé pour étendre un réseau d’influence selon un plan préétabli qui s’inscrit clairement dans une logique impérialiste. Si l’on refuse de voir ce problème, il devient invisible. Faire comme si la situation linguistique de l’Europe était le résultat d’une évolution naturelle serait une erreur stratégique dramatique.

La fuite vers toujours plus d’intégration européenne sous la houlette d’une fédération, le refus d’accepter l’existence de nations souveraines, de leurs langues et de leurs cultures ne peuvent pas être autre chose que la mise en œuvre de ce plan. 

 


 

1    La guerre des langues et les politiques linguistiques, de Louis-Jean Calvet, Payot, 1987.

2    Who are we ? (Qui sommes-nous ?) : le dernier livre d’Huntington, qui a été édité en 2004.

3    The world fact book (L’almanach mondial) que l’on peut trouver sur le site Internet de la CIA à http ://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/xx.html

4    « A snip of the tongue and English is yours ! » (Coupez votre langue et parlez anglais !), par Barbara Demick, Los Angeles Times, 8 avril 2002.

5    D’après les chiffres communiqués par l’ambassade de France à Séoul, il y aurait approximativement un million de Sud-Coréens qui auraient une bonne connaissance du français pour une population qui approche 50 millions (2 %), ce qui positionne la Corée du sud bien avant le Vietnam, alors que le Vietnam est membre de l’Organisation internationale de la Francophonie avec seulement 280 000 locuteurs ou 0,34 % de la population !

6    Bien que l’invention du téléphone soit au crédit de Bell, le mot « téléphone » fut construit par le Français Sudré pour désigner un appareil conçu pour envoyer des signaux sous la forme de notes de musique en 1828.

7    En fait, nul besoin d’aller jusqu’en Asie pour trouver des mots indigènes équivalents, même dans les langues européennes. L’islandais, par exemple, utilise « sími » pour « téléphone » et « símbréf » pour « fax », « tölva » pour « ordinateur », « hugbúna∂ur » pour « logiciel », « vélbúna∂ur » pour  matériel (hardware). Le finnois, qui n’est pas une langue indo-européenne mais qui est de facto une langue d’Europe, utilise « puhelin » pour « téléphone », « tietokone » pour « ordinateur » et « ohjelmasto » pour « logiciel ». On entend souvent que le français a fourni au monde le mot « chauvinisme » alors qu’il n’est même pas compris par ceux qui n’ont pas une bonne connaissance des langues dans lesquelles il est effectivement employé (le mot indigène étant « _jó_rembigur »).

8    Il faut remarquer que, parmi les pays qui ont été soumis à une longue occupation étrangère, européenne ou américaine, beaucoup ont formé leurs propres mots plutôt que de recourir à l’emprunt de mots occidentaux, essentiellement par souci de cohérence et de clarté.

9    Si, parmi ces 2-4 % de la population indienne, nous considérons ceux qui investissent massivement les départements de sciences appliquées des universités américaines en tant qu’étudiants de 2e ou 3e cycles, on peut remarquer que l’accent et la prononciation de cet échantillon d’Indiens laissent largement à désirer.

10    « The new Latin : English dominates in Academe », par Burton Bollag.

11    L’Expansion, 28 octobre 2004.

12    Docteur en sciences politiques, directeur d’études géopolitiques à l’École de guerre de Paris et professeur à l’École de guerre économique, Éditeur en chef de la Revue française de géopolitique.

13    La France a-t-elle une stratégie de puissance économique ?, par Christian Harbulot et Didier Lucas, Lavauzelle (ISBN : 2-7025-1181-3).

14    Dès qu’un nuage apparaît à l’horizon, les lancements à Cap Kennedy sont reportés.

15    Basov et Prokhorov reçurent le prix Nobel pour cette invention en 1964.

16    « 01 Informatique », novembre 1991.

17    Section spéciale sur le « High Speed Soviet Computing » (le calcul soviétique de haute performance), publié dans la revue Computers en 1985.

18    University of Chicago press, 1977.

19    Comme exemple, Cushing cite un accident dont l’origine est l’incompréhension d’une instruction pourtant simple d’un contrôleur : « Turn left, right now ! » (« Tournez à gauche, immédiatement »). Cela fut interprété par le pilote comme un ordre de tourner à gauche puis à droite immédiatement après.

20    Consortium européen dont le rôle est de définir et d’améliorer les procédures de contrôle aérien à travers l’Europe.

21    La moitié approximativement.

22    Voir http ://fr.cctv.com/francais/07/index.shtml et http ://fr.cctv.com/. CCTV-E&F émet aussi en espagnol.

23    L’un des derniers appels pour republier en langue française les résultats scientifiques français fut rédigé par un groupe de 4 scientifiques dont 2 prix Nobel (François Jacob en médecine et Claude Cohen-Tannoudji en physique), le biologiste qui fut à l’origine du premier bébé éprouvette en France (René Frydman) et le célèbre docteur et politicien Bernard Debré.

24    Cette loi constituait une tentative de légiférer contre l’usage de langues étrangères dans le contexte purement français et de limiter les variations linguistiques dans le temps. Cette loi était censée remplacer la loi Bas-Lauriol qui fut votée en 1975 avec des objectifs similaires. Néanmoins, cette loi fut brocardée par une frange assez large de l’élite politico-économique française qui surnomma Jacques Toubon « M. Allgood ».

25    École polytechnique fédérale de Lausanne

26    Fonctionnaire de la CE basée à Bruxelles qui est extrêmement active dans la défense du plurilinguisme dans les institutions européennes et qui a créé plusieurs associations consacrées à la sensibilisation du public vis-à-vis de ce problème. Les actions qu’elle a entreprises sont bien documentées sur Internet et n’importe quel moteur de recherche permet d’en connaître les détails.

27    Université de technologie de Belfort-Montbéliard.

28    Ces entretiens avaient lieu en anglais.

29    voir ait_facts_and_figures.pdf disponible sur Internet.

30    Canadien français à la retraite du ministère de la Défense, auteur du livre Géopolitique et avenir du Québec.

31    Né à Berlin en 1928 de parents lithuaniens, il a passé l’essentiel de sa vie professionnelle en France.

32    CYCLADES aurait pu devenir l’ARPANET français et un prototype fut créé et utilisé à l’université à partir de 1974. Cependant, l’absence de financement industriel, conséquence naturelle d’une absence totale de vision, enterra le projet. Pouzin avait beaucoup de contacts aux États-Unis et tous les détails de sa conception furent publiés en anglais. Aujourd’hui le protocole TCP/IP est une version améliorée de CYCLADES mais il en emprunte les caractéristiques les plus intéressantes.

33    Pour la Science, mars 2005. Curieusement, cet article a été publié dans la version française du Scientific American.

34    Les budgets de recherche sont toujours considérés insuffisants, plus particulièrement par ceux qui ne produisent rien.

35    « Coûts et justice linguistique dans l’élargissement de l’Union européenne ».

    Voir http ://www.sat-esperanto.org/article.php3 ?id_article=657

36    Bandura, A. (1977). Social Learning Theory (Conditionnement social). New York : General Learning Press.

37    L’histoire contemporaine sous influence, Le temps des cerises, 2004.

38    « President’s Information Technology Advisory Committee » disponible à l’adresse  http ://www.ccic.gov/ac/report/

39    Japon et Corée du Sud exclus.

40    Scientifique et sociologue français (1841-1931) aujourd’hui oublié mais extrêmement célèbre en son temps et qui fut même en course pour le prix Nobel. Sa notoriété fut telle que beaucoup de ses ouvrages furent réédités une vingtaine de fois et traduits dans une vingtaine de langues. La psychologie des foules (1895) eut un succès mondial. Dans ses ouvrages, Le Bon dévoile les principales techniques de manipulation des foules dont se sont inspirés par la suite les nazis et, après la seconde guerre mondiale, les Américains. Le Bon avait anticipé un certain nombre d’événements et de tendances actuelles avec une lucidité qui laisse le lecteur de nos générations émerveillé par l’exactitude de ses prévisions qui sont totalement vérifiées aujourd’hui.

41    Cinéaste français (1901-2000). Il consacra deux ans de sa vie à combattre les funestes accords Blum-Byrnes et fut l’artisan principal de leur « amodiation » ou adoucissement. Élu au parlement européen et à nouveau sous la loupe médiatique en 1989, continuant à défendre farouchement l’Europe contre l’envahissement culturel américain, il fut très rapidement mis sur la liste noire après son discours d’ouverture du parlement le 24 juillet 1989, à Strasbourg, dans lequel il dénonça en termes virulents l’impérialisme culturel étasunien. Ses adversaires obtinrent rapidement sa démission ainsi que sa radiation du poste de vice-président à vie de l ‘Académie des Beaux-Arts.

42    Europaramount, Éditions du Flambeau, 1992.

43    Le premier film doublé fut Dance, fools, dance ! avec Joan Crawford et Clark Gable. La version française, La pente, fut produite la première et sortit en salle en 1932.