Titre complet:
Le projet immobilier de l’Université de Montréal. Quand la démesure est au rendez-vous !
Le projet d’implanter un second campus de l’Université de Montréal sur le site de l’ancienne gare de triage du CP à Outremont est mis de l’avant avec ferveur par l’actuel rectorat, soutenu par le Conseil de l’Université de Montréal et encouragé par des alliés solides à la Ville de Montréal. Cet ambitieux projet reflète une envie forte d’effectuer un grand bond en avant et participe de la dynamique des grandes réalisations. L’idée d’un nouveau campus concourrait à une revalorisation de l’université et rehausserait sa place dans les priorités sociales, donnant le goût d’y investir. Mais, il faut se demander si la croissance immobilière est la clé du développement universitaire alors que le risque est grand que le projet hypothèque lourdement l’avenir de l’Université de Montréal.
Les lignes qui suivent rappellent que ce projet d’un second campus, jumelé à un volet résidentiel et communautaire, est d’une ampleur telle qu’il est difficile d’en prévoir l’impact financier. La démarche est déjà entachée d’éléments impondérables qui invitent à de sérieuses précautions. Lorsque le projet est mis en rapport avec les besoins actuels et les capacités financières de l’Université de Montréal, ressort alors une impression de démesure. C’est pourquoi, il paraît intéressant d’envisager d’autres solutions possibles au manque d’espace auquel l’institution fait face et de suggérer des balises, servant de garde-fous et de cibles pour les investissements à venir dans les infrastructures universitaires.
Les risques et aléas d’un ambitieux projet
Vaste zone enclavée à la jonction de plusieurs quartiers montréalais, le site de l’ancienne gare de triage d’Outremont acquis par l’Université de Montréal en 2006 représente un potentiel immense. Au moment de l’acquisition du terrain, les promoteurs du projet de second campus ont fait valoir que cette réserve foncière permettrait de répondre à tous les besoins immobiliers actuels et à venir de l’Université – au-delà même de ce qu’il est possible de projeter. L’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) traduit dans les termes suivants l’accueil favorable que cette initiative a pu recevoir dans le milieu : « une occasion unique de remplacer une enclave par un équipement d’excellence qui renforcera la vocation de Montréal comme ville de savoir.»
À l’Université de Montréal, la démarche a été associée à l’élaboration d’un Plan directeur des espaces, sous la responsabilité du vice-recteur à la planification et d’un comité ad hoc formé par celui-ci. Les décisions majeures ont été prises soit par le Conseil de l’Université, soit par son Comité exécutif. L’Assemblée universitaire, qui doit énoncer les grandes orientations de l’institution, n’as pas été considérée dans les faits comme partie prenante des décisions. La communauté universitaire a été officiellement consultée, mais après l’achat du terrain.
À l’externe, le projet est développé en collaboration étroite avec la Ville de Montréal, sur la base d’un accord de principe adopté en 2005. L’OCPM a entendu les points de vue des citoyens. Son rapport invitait l’Université à corriger son plan d’aménagement, en plus d’inciter la Ville à lier le projet à la planification détaillée des secteurs avoisinants.
Des ajustements recommandés par la Ville et que la direction de l’Université semble prête à accepter ont été présentés aux citoyens lors de séances d’information tenues en juin 2008.
La configuration initiale du projet
Accompagné de quelques études d’impact, le concept d’aménagement initial élaboré par la firme Cardinal Hardy ne prend pas explicitement en considération la dimension des coûts1. L’acquisition des terrains de la gare de triage d’Outremont aux fins d’y implanter un second campus a été justifiée auprès de la communauté universitaire sur la base uniquement d’une évaluation des dépenses les plus immédiates : l’achat du terrain au montant de 20,9 millions de dollars, assumé par l’Université au moyen d’un emprunt, et les « travaux préparatoires » (décontamination, relocalisation des voies et du triage), estimés à 26 millions de dollars et pour lesquels serait demandée une aide financière aux gouvernements fédéral et provincial.
Le projet qui a fait l’objet d’un accord de principe du Comité exécutif de la Ville de Montréal comportait les principaux éléments suivants :
• des pavillons universitaires d’une superficie de près de 300 000 m2 et plus de 1000 unités de logement en résidences universitaires ;
• la construction de près de 700 logements privés, dont 30 % de logements abordables ;
• l’installation d’une nouvelle gare du train de banlieue de la ligne Montréal–Blainville et un nouveau viaduc sous les voies ferrées ;
• le déplacement de la cour de voirie de l’arrondissement Outremont, la construction de quelque 2400 mètres de nouvelles rues locales et l’implantation de plus de 28 000 m2 de nouveaux parcs et terrains de sport ;
• le début des travaux de construction au printemps 2007 et des investissements publics de près de 90 millions de dollars pour les infrastructures.
Très tôt on a évalué les coûts totaux du projet à plus de 1 milliard de dollars. Devant l’OCPM, en 2007, le recteur Luc Vinet confirmera cet ordre de grandeur, en précisant que la réalisation complète du projet se ferait sur 20 ans2.
Mentionnons que le volet institutionnel du projet est pour l’essentiel circonscrit aux abords de la voie ferrée dans la partie nord du site. Le campus originalement projeté inclut une vingtaine de pavillons et trois immeubles de résidences étudiantes.
Devant les critiques qui dénoncent la fragmentation de la vie universitaire et les inégalités d’accès aux services qu’entraînerait l’implantation d’un second campus, les promoteurs font valoir la proximité relative du site et, parmi les autres principes guidant le projet, la volonté d’appliquer « les mêmes standards aux deux pôles du campus dans une mise à niveau combinée ».
Une réalisation par phases
Le Plan directeur des espaces de l’Université de Montréal, qui est en révision, envisage maintenant plusieurs phases de développement du second campus. La phase 1, dont l’horizon de réalisation est de 3 à 5 ans, se limiterait à la construction de 2 pavillons universitaires, soit un Pavillon des sciences et un Pavillon des services. La phase subséquente serait reportée sur un horizon de 5 à 10 ans.
L’ouverture du premier bâtiment universitaire était d’abord prévue pour septembre 2011, mais l’Université de Montréal a repoussé cet échéancier à janvier 2013, du fait que les travaux ne peuvent débuter sans une confirmation du financement gouvernemental.
Le choix de faire du Pavillon des sciences la figure de proue de l’implantation d’un second campus suscite l’étonnement et le doute, car même si certaines unités doivent être relogées, des installations sur mesure et à la fine pointe des besoins ont été érigées très récemment sur le campus de la Montagne pour des composantes très dynamiques du secteur des sciences. Le facteur d’éloignement pèserait nécessairement sur les synergies.
Le principe de « mêmes standards » par rapport au campus de la Montagne n’est pas vraiment appliqué à la phase 1 – par exemple, on note l’absence d’équipements sportifs semblables au complexe actuel (CEPSUM). Reconnaissons cependant que la construction d’un deuxième pavillon des sports, reportée à une phase ultérieure, représenterait un coûteux dédoublement des installations universitaires.
Une étude acoustique réalisée pour le compte de l’Université 3 fait part de mesures de niveaux de bruit et considère qu’une atténuation acceptable proviendra de la présence d’une rangée de bâtiments de huit étages prévue le long des voies ferrées 4. Cette remarque soulève le problème de la « masse critique » nécessaire au bon déroulement du projet. Dans quelle mesure les volets résidentiel et communautaire prennent-ils appui sur le volet institutionnel ? Quelles sont les conditions minimales et les investissements requis pour que la synergie fonctionne ?
Les coûts de construction
Lors de séances d’information tenues en juin 2008 à l’intention des citoyens des arrondissements d’Outremont et de Parc-Extension, le vice-recteur exécutif de l’Université de Montréal, M. Guy Breton, a évalué à 250 millions de dollars les coûts de construction qui incomberaient à l’Université de Montréal à la phase 1. Le vice-recteur à la planification, M. Yves Simonet, a repris les mêmes chiffres, en ajoutant que cette évaluation comportait une marge d’incertitude de 20 %. Selon M. Breton, le gouvernement provincial financerait de 70 % à 80 % des coûts de construction « si le manque d’espace est reconnu ».
Les coûts des travaux préparatoires
Alors qu’au moment de l’achat l’Université de Montréal avait évalué à 26 millions de dollars le coût des travaux préalables à la réalisation du projet, la Ville de Montréal estimait en avril 2007 que les coûts d’infrastructure préparatoires s’élèveraient plutôt à 71,6 millions de dollars. Ils se détaillent comme suit :
Coûts en millions de dollars
M $ |
|
Réhabilitation du site |
20,0 |
Démantèlement des voies ferrées et des bâtiments du CP |
8,3 |
Viaduc et corridor ferroviaires |
23,0 |
Mur antibruit |
5,1 |
Gare de train de banlieue |
5,0 |
Démolition et réhabilitation – cour de services |
1,7 |
Construction nouvelle cour de services |
8,5 |
Cette estimation n’inclut pas les travaux de voirie ni l’aménagement des parcs, à la charge exclusive de la Ville de Montréal. Leurs coûts estimés à 72,5 millions de dollars portent à 144 millions de dollars l’ensemble des travaux d’infrastructure, toujours selon les prévisions de 2007.
Un an plus tard, la Ville de Montréal, en fonction des revenus fiscaux escomptés, établit à 60 millions de dollars le seuil de rentabilité de son engagement dans le projet 5. Le Bureau de gestion des grands projets propose une série d’ajustements au projet initial, en réponse aux recommandations de l’OCPM et aux exigences de rentabilité – ce qui fera passer le coût estimé du projet pour la municipalité de 82,7 millions de dollars (avril 2007) à 59,9 millions de dollars (avril 2008). Détail intéressant mais aussi inquiétant, la Ville reconnaît, dans son évaluation du coût des travaux de voirie, la hausse importante survenue en une seule année : « L’estimation des infrastructures faite en avril 2007, soit 28,1 M $, serait plutôt de 33,5 M $ pour les mêmes infrastructures en avril 2008, compte tenu des coûts révisés de construction. » On peut imaginer les répercussions de ce genre de hausses annuelles – dans ce cas de 19 % – à l’échelle de l’ensemble du projet.
Lors des séances d’information de juin 2008, le vice-recteur exécutif, M. Guy Breton, a déclaré qu’il estimait à environ 100 millions de dollars les coûts de revitalisation du terrain. Un montant de 40 millions de dollars serait donc encore à trouver.
Enfin, à ces travaux d’infrastructure généraux pourraient bien se rajouter d’autres frais nécessaires à la reconversion du site de la gare de triage pour un usage universitaire. Il reste à démontrer que les diverses études techniques, notamment sur les sources de vibrations à proximité du corridor ferroviaire et sur les champs électromagnétiques produits par un poste d’Hydro-Québec, ont tenu compte des exigences particulières associées aux appareils et aux méthodes de mesure nécessairement utilisés dans les laboratoires scientifiques que l’on entend y installer.
Des consultants et des activités de promotion
On estime qu’à l’heure actuelle plus de 10 millions de dollars ont été investis dans la promotion du site de la gare de triage : réalisation d’études, production de rapports et de plans d’aménagement, marketing, etc. L’aventure a même amené le Conseil de l’Université à voter un budget de près de 1 million de dollars, prélevé à même le Fonds de relance, pour la création d’un OSBL qui prendrait à sa charge le développement du second campus.
Réorientation, instabilité et relocalisations transitoires
Le fait de s’orienter vers des objectifs immobiliers encore loin d’être à la portée de l’institution a créé un flottement et forcé la recherche de solutions transitoires au manque d’espace. Qu’il s’agisse de déménagements ou de la location de locaux hors campus pour des durées qui risquent d’être longues, ces arrangements bancals représentent des coûts que l’on devrait vouloir éviter.
Le projet de second campus semble avoir incité la direction de l’Université de Montréal à court-circuiter certains développements déjà amorcés. L’exemple qui suscite le plus de réactions est la mise en vente du 1420 Mont-Royal, un ancien couvent situé en bordure du campus actuel sur la Montagne et acquis avec le plus grand bonheur, en 2003, sous la gouverne du précédent recteur. En plus de son net avantage de proximité, cet édifice se prêtait bien à un aménagement progressif, mais sans délais indus. S’en défaire aujourd’hui signifie un gaspillage des ressources déjà engagées dans des rénovations fonctionnelles spécifiques 6. Une revente, reconnaît-on généralement, risque fort d’être à perte. Selon le Plan directeur des espaces, d’autres immeubles d’une grande valeur – dont le pavillon de la Faculté de musique et la salle Claude-Champagne – pourraient subir le même sort.
Un autre enjeu se greffe à la mise en vente de l’ancien couvent, et c’est celui de la préservation du patrimoine collectif. La direction de l’Université vient d’annoncer qu’elle entend accepter l’offre d’achat d’un promoteur immobilier désireux de transformer l’édifice historique en condos de luxe. Heureusement, comme un tel changement de vocation implique une modification du zonage, la population et les élus municipaux seront appelés à se prononcer.
Le partage des responsabilités avec des promoteurs résidentiels
L’Université de Montréal n’a pas discuté publiquement des modalités concernant la réalisation du volet résidentiel du projet. On suppose qu’elle établira un partenariat avec un promoteur privé. Le désastre vécu à l’UQAM l’a montré : ce type d’entente tend à faire porter le plus gros des risques par les institutions publiques, et la négociation des modalités d’une entente est un exercice sérieux et périlleux.
La confirmation d’une démesure
Après avoir envisagé les coûts et les risques inhérents à la démarche d’implantation d’un second campus, il convient de resituer le projet dans son cadre de référence premier. Sa réalisation contribuerait-elle à une réponse juste et adéquate aux besoins de l’Université de Montréal ? Serait-elle à la mesure des capacités financières de l’institution ?
Les besoins actuels
Dans un récent mémoire 7, le Syndicat général des professeurs et professeures de l’université de Montréal (SGPUM) faisait état des consensus qui semblent se dessiner à l’Université de Montréal. Certainement, il y a urgence d’offrir des conditions adéquates aux secteurs «humides» logés dans des locaux désuets, voire dangereux ; la construction d’un nouveau Pavillon des sciences paraît être la façon appropriée de répondre aux besoins des professeurs et des étudiants, dans la mesure où un tel projet puisse se réaliser rapidement. Des unités sont par ailleurs confinées dans des locaux exigus ; quelques-unes se trouvent isolées, en périphérie du campus. On observe un manque de locaux pour répondre aux besoins de la formation aux 2e et 3e cycles, et accueillir des stagiaires postdoctoraux. Il conviendrait aussi d’adapter un bon nombre de salles de classe aux méthodes d’enseignement et de les moderniser. À l’exception des pavillons construits au cours des cinq dernières années, le campus de l’Université de Montréal souffre d’un déficit d’entretien quasi généralisé, qui en 2006 était estimé à 200 millions de dollars.
Les tendances démographiques
Selon Statistique Canada 8, un essor des effectifs étudiants dans les universités québécoises est démographiquement peu probable, du moins sur un horizon de 30 ans. Une étude effectuée pour le compte du MELS 9 va dans le même sens : après une évolution très forte entre 2001 et 2004, puis une croissance qui se poursuit jusqu’à un point culminant en 2013, les universités amorcent ensuite une décroissance. Tout autre scénario plus optimiste relèverait de la haute spéculation, d’autant plus que les données les plus récentes montrent déjà, en 2007-2008, un stagnation en quelque sorte prématurée de la croissance des effectifs étudiants à l’Université de Montréal 10. Une telle situation n’est pas étrangère à la concurrence effrénée que se livrent actuellement les universités québécoises pour le recrutement de nouveaux étudiants. La multiplication des campus régionaux se veut une réponse à cette recherche de nouvelle clientèle. Paradoxalement, une telle dispersion géographique du campus à laquelle participe l’Université de Montréal dessert l’idée du besoin de développement d’un nouveau grand espace.
Les capacités financières de l’UdeM
Le poids des investissements immobiliers sur le budget de l’Université et leurs conséquences sur les activités liées à la mission d’enseignement et de recherche soulèvent l’inquiétude 11. Les chiffres nourrissent cette crainte :
− La dette à long terme de l’Université de Montréal est passée de 400 millions de dollars en 2004 à 713,5 millions de dollars en 2007 ;
− La portion de la dette non financée par le ministère de l’Éducation des Loisirs et du Sport (MELS) atteint 184,9 millions de dollars en 2007 ;
− Les versements de capital à effectuer au cours des prochaines années grimpent en flèche, les prévisions établissant déjà qu’ils passeront de 96,3 millions de dollars en 2008 à 179,2 millions de dollars en 2012 12.
En scrutant les plus récents états financiers et le budget de fonctionnement, on constate que les investissements dans l’immobilier pèsent de plus en plus lourd sur les finances de l’Université. Dans une note aux états financiers 2007 intitulée « Engagement », il est mentionné que l’Université a procédé à des travaux (construction de quatre pavillons, agrandissements, rénovations et réaménagement) estimés à 344 millions de dollars. Ces travaux sont financés à long terme par l’Université à hauteur de 23 %, le solde étant assumé par les gouvernements fédéral et provincial, des organismes subventionnaires et des dons. Rappelons que de tels engagements financiers de l’Université étaient limités à 14 % en 2002 et qu’ils étaient inexistants auparavant.
Quant aux intérêts à payer, nous en sommes à plusieurs dizaines de millions de dollars (14,5 millions de dollars sont imputés au budget 2008-2009). Fait inquiétant, ces frais d’intérêts sont imputés au budget de fonctionnement même si une large part de ses intérêts est tributaire d’emprunts pour financer l’immobilier. Fait encore plus troublant, aux états financiers 2007, on a réparti pour la première fois ce montant en deux composantes : Service de la dette (4,0 millions de dollars) et Autres contributions et affectations (3,87 millions de dollars). Pourquoi cette nouvelle présentation ? Aucune réponse claire et satisfaisante n’a été donnée. On peut s’en douter, inscrire plus de 8 millions de dollars en frais d’intérêts au fonds de fonctionnement aurait suscité nombre de questions, surtout que cinq ans auparavant les intérêts à payer ne totalisaient que 1,82 million de dollars 13.
Enfin, le déficit d’espaces nets établi par le MELS dans ses Calculs définitifs des subventions de fonctionnement des universités pour l’année universitaire 2006-2007 se limite à un modeste 22 853 m2 pour l’Université de Montréal. Il s’agit certes d’un déficit à court terme, établi sur la base des effectifs étudiants et limité aux activités d’enseignement. Le MELS a procédé récemment à une réforme afin d’exclure entièrement de la subvention de fonctionnement le financement d’espaces dits destinés à la recherche – dorénavant compris de façon exclusive dans les Frais indirects de recherche. Les contributions éventuelles de ces deux sources demeurent des inconnues. Avec de telles contraintes, le financement des pavillons prévus sur le nouveau campus n’en devient que plus hasardeux.
D’autres voies possibles
Dans le mémoire déjà cité, le SGPUM a recommandé que l’on s’oriente vers un scénario de viabilisation du campus de l’Université de Montréal qui miserait sur les éléments suivants : la conservation du pavillon 1420 Mont-Royal 14, la construction d’un pavillon des Sciences à l’est du pavillon Lassonde 15 et la mise en œuvre d’un plan d’entretien et de rénovation du campus actuel.
Le SGPUM recommande en outre la revente des terrains de la gare de triage d’Outremont 16 à une instance publique, avec le maintien d’une option d’occupation partielle. L’Université de Montréal pourrait continuer de participer au processus de concertation métropolitain, en devenant promotrice, par exemple, d’initiatives interuniversitaires.
Des balises pour le développement universitaire
Outre les caractéristiques d’une gestion saine, rigoureuse et transparente attendues de toute institution publique, il y aurait lieu de préciser des critères et des limites qui garantissent que le développement des universités se fasse en accord avec leur mission. Les exigences suivantes pourraient servir à la fois de garde-fous et de cibles pour l’investissement dans les infrastructures universitaires :
- S’en tenir à des projets et à des engagements financiers qui se rapportent aux activités de recherche et d’enseignement, ou aux services à la communauté universitaire.
- Démontrer l’adéquation de tout projet de construction aux capacités financières de l’institution et éviter toute ponction dans son budget de fonctionnement.
- Élaborer un tableau d’ensemble des engagements financiers requis pour répondre aux besoins en espaces, en recherchant des consensus sur les principaux points de pression et en favorisant une perspective de préservation du patrimoine bâti.
- Intégrer comme élément de toute étude de faisabilité un plan de renouvellement du corps professoral visant l’amélioration du ratio étudiants/professeur.
- Considérer la proximité comme un facteur important de la qualité de la vie universitaire et rechercher la préservation de l’intégrité géographique du campus.
- Promouvoir une discussion sur le concept de campus et les types de convivialité vers lesquels s’orienter.
- Assurer la préservation de la diversité des disciplines, trait fondamental qui contribue au caractère propre d’une université.
- Reconnaître pleinement les pouvoirs et attributions des instances représentatives instituées par les chartes et les statuts des universités, et rechercher leur mise à contribution comme partie intégrante de la culture universitaire.
Ces balises appellent à un investissement soutenu et adéquat dans le réseau universitaire, mais elles se situent à l’extérieur d’une logique de surenchère et de croissance à tout prix. Combien de fois faudra-t-il assister aux mêmes dérives financières avant de réagir ? Il faut que cesse la démesure. Il en va d’une gestion saine et responsable des fonds publics.
1 Certaines approches de l’architecture considèrent pourtant que l’architecte a la responsabilité de connaître les conséquences sociales et économiques de ses interventions. Voir Gonzalo Lizarralde, « Architecture, éthique et développement durable », L’Autre Forum, vol. 13, no 1, septembre 2008.
2 Office de consultation publique de Montréal, Consultation publique projet d’implantation d’un campus de l’Université de Montréal sur le site de la gare de triage d’Outremont, séance de la soirée du 28 février 2007. M. Vinet explique que les prévisions relatives aux coûts totaux sont obtenues par un calcul simple : la superficie totale projetée – qu’il établit à 280 000 mètres carrés bruts – multipliée par les coûts de construction moyens pour des infrastructures universitaires – qu’il estime être de l’ordre de 3000 $ le mètre carré.
3 Groupe Cardinal Hardy, Étude acoustique pour le développement du campus Outremont de l’Université de Montréal. Le bruit généré par les activités ferroviaires et les mesures de mitigation requises, juin 2006.
4 Pour des raisons non expliquées, l’étude de l’impact des vibrations produites par les activités ferroviaires a été retirée du mandat donné à la firme consultante.
5 Ville de Montréal, Bureau des grands projets, Le projet du campus universitaire d’Outremont. L’analyse municipale de faisabilité technique et financière du projet de campus et de ses abords, 17 juin 2008.
6 Près de 20 millions de dollars ont été investis dans les réaménagements partiels de cet immeuble effectués depuis son achat au montant de 15,4 millions de dollars en 2005.
7 Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal (SGPUM), En quête du meilleur scénario possible pour la préservation et l’essor durable de l’Université de Montréal, février 2008.
8 Darcy Hango et Patrice Broukner (Statistique Canada), Tendances des effectifs étudiants au postsecondaire jusqu’en 2031 : trois scenarios, Ministre de l’Industrie, novembre 2007.
9 Claudine Provencher, Pie Landry Iloud et Alain Rousseau, Si la tendance se maintient, quelle sera l’évolution des clientèles de la formation professionnelle, du collégial et de l’universitaire ?, MELS, novembre 2006.
10 Évolution des admissions, inscriptions et diplômés de 2003-2004 à 2007-2008, Bureau de la recherche institutionnelle, Université de Montréal.
11 Parmi les éléments touchés, notons : le ratio étudiants/professeur, la charge d’enseignement et d’encadrement, la disponibilité de fonds internes de recherche, les programmes de bourses d’études, les ressources auxiliaires, le matériel et les services informatiques, etc.
12 Université de Montréal, États financiers 2007, p. 20.
13 Université de Montréal, États financiers 2002.
14 Une superficie potentielle d’environ 34 000 m2 nets.
15 Ce pavillon d’une superficie de 32 700 m2, construit en 2005 au coût de 104,9 millions de dollars pour accueillir l’École Polytechnique, offre un intéressant repère comparatif.
16 Au moment de l’achat, la direction de l’Université a rassuré la communauté universitaire en évoquant la possibilité d’une revente en cas de difficultés insurmontables et en précisant qu’une évaluation effectuée par la firme Altus Hylar situait la valeur marchande des terrains à plus de 49 millions de dollars.
* Professeur de pharmacologie, Faculté de médecine, Université de Montréal.
L’auteur tient à remercier madame Suzanne Grenier pour son aide inestimable dans la recherche, l’analyse et la rédaction de ce texte.